Nombre de journalistes et éditorialistes de la presse paraissant en Turquie, nombre d’observateurs étrangers voient dans le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan l’homme providentiel qui va sortir la Turquie de son isolement et lui donner un rayonnement mondial. Ils louent sa diplomatie qui a pris pied en Amérique du Sud, notamment au Brésil, en Afrique, en particulier au Congo et au Cameroun et même en Chine, sans oublier le Japon, concurrent d’EDF, GDF-Suez et Areva pour la construction d’usines nucléaires en Turquie : ce réformateur va faire de la Turquie une puissance régionale incontournable établissant des relations positives tant avec ses voisins (Syrie, Iran, Irak) qu’avec la Russie et les pays du Golfe, sans pour autant s’éloigner de ses alliés traditionnels (États-Unis, pays européens) réunis au sein de l’Otan. Même la brouille avec Israël n’empêche pas la coopération militaire et la livraison des drones Heron made in Israël engagés dans la lutte contre le PKKPartiya Karkerên Kurdistan, Parti des Travailleurs du Kurdistan, fondé en 1978. More.
L’épine dans le pied d’Erdogan
Pour autant tous s’accordent pour souligner que la question kurde est la question que R. T. Erdogan doit régler s’il veut réaliser ses ambitions nationales et internationales.
Or, comme le pointe diplomatiquement la Commission européenne dans son rapport annuel d’évaluation, les réformes conduites par Ankara ne sont pas à la hauteur des enjeux : la révision constitutionnelle qui a affecté la hiérarchie judiciaire est pour le moins ambigüe, “l’ouverture kurde” n’a pas débouché sur des résultats probants et certaines situations en matière de droits et de libertés demeurent particulièrement choquantes. Reporters sans frontières (RSF) dénonce les atteintes à la liberté d’expression bâillonnée par 15 articles du Code pénal turc, définis comme un “carcan législatif”. L’année 2010 a été de ce point de vue désastreuse : 43 journalistes – dont dix rédacteurs en chef – et écrivains ont passé le nouvel an en prison, 655 personnes dont 197 journalistes ont été jugés au cours des neuf premiers mois de 2010, 12 journaux suspendus et 7 000 sites internet bloqués (contre 3 700 en 2009). RSF révèle encore que la Turquie occupe en 2010 la peu enviable 138ème place sur 178 au classement mondial des nations relatif à la liberté de la presse et qu’elle figure pour la première fois sur la liste des pays sous surveillance concernant “les Ennemis d’Internet”.
Le procès de Diyarbakir : appel du BDP
Le test majeur va être la poursuite du procès de Diyarbakir qui doit reprendre ses audiences le 13 janvier prochain devant la VIème Haute Cour criminelle.
Eyyup Doru, représentant en Europe le parti pro-kurde BDP (Parti pour la Paix et la démocratie), lance un nouvel appel à la solidarité internationale à l’approche de la réouverture du procès concernant 151 cadres et élus, politiques et associatifs, accusés de “terrorisme”. Le procès, aussi retentissant soit-il, n’est que l’écume de la vague répressive : ” plus de 2000 Kurdes de la société civile, politique et syndicale sont incarcérés sans jugement en Turquie, certains depuis de longs mois” déclare-t-il. Difficile dans ce cas de parler “d’ouverture démocratique” si on ajoute la dissolution du parti pro kurde DTP, prononcée par la cour constitutionnelle en décembre 2009 et les menaces réelles et sérieuses qui pèsent maintenant sur son successeur, le BDP.
Appel du DÖKH (Mouvement démocratique des Femmes libres) : notre corps, notre identité, notre terre nous appartiennent, nous luttons pour défendre nos droits et notre liberté
Les responsables et les militantes des mouvements de femmes sont également visées, comme le rappelle le Mouvement démocratique des Femmes libres (DÖKH) : “nous vivons dans un monde militariste, machiste et sexiste, dans un système en faillite qui bafoue le droit et la justice : ce qui est normal en démocratie est considéré, ici, comme illégal et puni comme un crime ; c’est ainsi que nos amies qui s’engagent dans une politique démocratique et qui luttent contre les discriminations sont incarcérées et traduites devant les tribunaux”.
DÖKH publie la liste de ses membres qui vont se retrouver le 13 janvier au banc des accusées devant la VI° Haute Cour criminelle de Diyarbakir
PROCES devant la VI° Haute Cour criminelle de Diyarbakir
Liste des femmes inculpées
DTP (Parti pour une Société démocratique) dissout et remplacé par le BDP (Parti pour la Paix et la Démocratie)
DÖKH (Mouvement démocratique des Femmes libres)
27 sont en détention : Herdem KIZILKAYA (membre fondatrice du DTP, porte parole du DÖKH), Selma IRMAK (vice/Présidente du DTP), Esma GÜLER (DTP), Pero DÜNDAR(DTP), Zahide BESİ (DTP), Pergüzar KAYGUSUZ (membre du Conseil Exécutif du DTP), Zöhre BOZACI (membre de la Commission Centrale “Elections” du DTP et membre de la Commission “Ecologie et Autorités locales” du DTP), Leyla DENİZ (membre de la Commission Centrale “Elections” du DTP), Nihayet TAŞDEMİR (porte parole de la Commission Centrale “Elections” du DTP, membre du DÖKH) Sevi Demir (membre de la Commission Centrale “Elections” du DTP), Pınar IŞIK (membre de l’Assemblée des Femmes du DTP), Besime KONCA (membre de l’Assemblée des Femmes du DTP), Hacire ÖZDEMİR (membre de l’Assemblée des Femmes du DTP), Sara AKTAŞ (porte parole du DÖKH), Zeynep BOĞA (porte parole du DÖKH), Fikriye AKTAŞ (porte parole du DÖKH), Takibe TURGAY (membre du DÖKH), Fadile BAYRAM (membre du DÖKH), Meside ŞAHİN (membre du Bureau exécutif de TEV-DER, membre du DÖKH), Çimen IŞIK (membre de l’Assemblée du DTP, membre de la Commission “Ecologie et Autorités locales” du DTP), Diyaret TAŞDEMİR (conseillère du maire métropolitain de Diyarbakir), Roza ERDEDE (membre du Bureau exécutif de l’Association de défense des droits humains -IHD, affiliée à la FIDH -section de Diyarbakır-, salariée du GABB (Union des Municipalités de l’Anatolie du Sud-est), Elif KAYA (membre du Bureau exécutif du Centre Culturel de Mésopotamie –MKM-), Olcay KANLIBAŞ (membre du Bureau exécutif des syndicats des Personnels de Santé -SES/KESK-), Heval ERDEMLİ (conseillère municipale de Yenişehir, arrondissement de Diyarbakir, salariée de la municipalité de Kayapınar arrondissement de Diyarbakir, Leyla GÜVEN : maire de Viranşehir –Urfa-), Gülcihan ŞİMŞEK (ancien maire de Bostaniçi –Van-).
13 ont été laissées en liberté sous contrôle : Yuksel BARAN (maire de Bağlar, arrondissement de Diyarbakir ), Bedriye AYDIN (maire adjointe de Kayapınar arrondissement de Diyarbakir), Yurdusev ÖZSÖKMENLER (ancien maire de Bağlar, arrondissement de Diyarbakir), Özlem YASAK (chargée de projet à la mairie de Bağlar, arrondissement de Diyarbakir), Rojda BALKAŞ (vice-maire de Bağlar, arrondissement de Diyarbakir), Nadire NERGİZ (conseillère municipale de Batman), Songül Erol ABDİL (ancien maire de Tunceli), Nuran ATLI (ancien maire de Mazıdağı -Mardin), Şükran AYDIN (ancien maire de Mazıdağı -Mardin), Nesrin DENİZ (membre de l’Assemblée des Femmes du DTP), Seda AKBAŞ CAN (membre du DÖKH), Müzeyyen GÜNEŞ (membre du Bureau exécutif de TUHAD-FED -association d’aide aux détenus et à leur famille-, membre de DÖKH), Beyhan SAKİN (membre du syndicat des Personnels de Santé -SES/KESK-).
André Métayer