Dans son livre ‘’ Le détail et l’horizon“, Edmond Hervé, maire de Rennes de 1977à 2008, rappelle qu’un conseil municipal ‘’doit regarder le monde et ne saurait être insensible à ce qui s’y passe’’ et qu’une philosophie des droits de l’homme ‘’va bien au-delà d’une simple assistance humanitaire’’. Vigilance, accueil, solidarité, développement ‘, c’est un devoir : ‘’Rennes n’y a jamais manqué’’ et de relater (pages 720 à 722) cette longue histoire de relations fraternelles entre municipalités de Rennes et de Diyarbakir, faite de soutiens moraux, politiques, mais aussi d’interventions concrètes, de coopération matérielle et technique, encourageant les initiatives associatives, qui perdure encore aujourd’hui et qui a commencé …le 22 mars 1979.
Témoigner, entretenir une conscience collective, agir
« le 22 mars 1979,à l’appel de la Fédération nationale des élus socialistes et républicains (FNESR, présidée par Hubert Dubedout, maire de Grenoble), la ville de Rennes se joint à Brest, Nantes, Clermont-Ferrand, Grenoble, Bayonne et fournit 4 bus réformés qui partent dans un convoi de matériel destiné à la ville de Diyarbakir, victime d’embargo et de représailles du gouvernement turc pour avoir élu, en 1977, pour la première fois, un maire kurde, Mehdi Zana. Le départ de nos bus se fait en présence de Kendal Nezan, président de l’Institut kurde de Paris, et d’Hugues Panon, photographe rennais, qui fait le voyage pour livrer un reportage dans Ouest-France le 16 mai 1979. »
Edmond Hervé ne manque pas de souligner une attention constante à la cause kurde : « nous n’avons cesser d’alerter, d’intervenir auprès de différentes autorités, au nom des droits de l’homme, des respects des minorités, de la liberté d’expression et d’opinion, du respect de la dignité humaine ». oui, à Rennes ‘’la cause kurde’’ n’est pas une chose abstraite. Elle porte des noms, des visages, d’hommes et de femmes que la municipalité a accueillis, hôtes de passage ou émigrés chez nous, que nous avons rencontrés ‘’ici’’ ou ‘’là-bas’’, que nous avons aimés, défendus, et nous continuons. On ne se détache jamais vraiment de la cause kurde.
André Métayer
Reportage d’Hugues Panon : Maurepas -Diyarbakir !… « tout le monde descend » (Ouest France 16 mai 1979)
Lorsque les bus offerts à Diyarbakir, une ville du Kurdistan Turc, ont quitté Rennes, Hugues Panon, un Rennais de 25 ans, se trouvait à bord. Il a vu, là, l’occasion de satisfaire sa passion de la photo et son goût pour l’aventure et la découverte des hommes.
Distance : près de 5000 kilomètres. Vitesse de croisière : 60 kilomètre/heure. Pendant 13 jours, il a partagé fatigue, soucis et espoirs des convoyeurs de Diyarbakir.
Kurde avec les Kurdes
« Du début à la fin du voyage, j’ai été intégré dans leur équipe. J’avais autant hâte qu’eux d’arriver. J’avais presque le sentiment d’aller rejoindre ma patrie. Souvent j’ai pensé que j’étais Kurde, que j’avais l’âme kurde ».
Le 24 mars, les 4 bus du « Star » quittaient Rennes. Ils retrouvaient, à Chamonix le 26, les 4 cars offerts par Saint-Etienne, les 2 bennes à ordures de Grenoble et un car rapide qui avait amené de Diyarbakir, mécaniciens et chauffeurs turcs. Ce car jouait à la fois le rôle de voiture balai et de chien de berger. Il allait à la recherche des absents, intervenait pour les dépannages, etc…. car on devine qu’au cours d’un tel trajet les incidents mécaniques ou autres n’ont pas manqué.
Deux jours à la frontière turque
Le 26, ils passaient le tunnel du Mont-Blanc. « Les Italiens n’en revenaient pas d’apprendre que des villes françaises avaient donné des bus »
Quant aux Kurdes, le coût du passage du tunnel tout comme les péages des autoroutes leur restait dans la gorge.
Le 28, c’était la frontière yougoslave et le 30 leur arrivée en Bulgarie. Le lendemain, un samedi, ils arrivaient à la frontière turque. Là après une attente d’une journée et une surveillance attentive, les véhicules étaient fouillés de fond en comble. Les Turcs craignaient un transport d’armes vers un Kurdistan qui suscite chez eux méfiance et inquiétude.
Le 2 avril, à midi, le convoi parvenait à Istanbul. « L’entrée dans cette ville est un cauchemar tant il y a de véhicules.
Et la route se poursuit par Ankara, Abena Gaziantep. Près d’Ankara, ils feront la jonction avec un camion-citerne venu à leur rencontre de Diyarbakir. Il y a en effet des problèmes de ravitaillement en fuel.
Le jeudi 5, à 20h30, ce sont les retrouvailles avec familles et amis à 30 kilomètres de la capitale du Kurdistan Turc. Les cadeaux achetés au cours du voyage sont distribués. On se congratule, on chante. Puis à 21h30, c’est l’entrée à Diyarbakir. « La ville était vivante encore à cette heure-là »
Après un long circuit ponctué de coups de klaxon, les véhicules se rangent au pied des remparts.
« On ne peut pas en rester là »
Le lendemain matin, on viendra les chercher en voiture et il précédera le cortège des bus de dirigeant vers la mairie à grand coup de klaxon. « j’avais l’impression d’être à nouveau libérateur. Je ne savais plus où me mettre. A la mairie, il y avait une foule compacte, des chants et des danses. »
Hugues Panon est resté une semaine à Diyarbakir où il a apprécié l’hospitalité kurde « j’aurais pu y demeurer 6 mois, 1 an, … »
Deux jours après leur arrivée, les cars, révision faite, circulaient. Ils ont été littéralement assiégés et étaient bourrés de monde…
Il a visité la ville, des campements, un dispensaire, constaté la pauvreté et les effets de l’exode rural.
« ils ne disent pas qu’ils attendent plus de nous, mais j’ai senti qu’on ne peut en rester là. L’aide au développement est une chose mais ils ont besoin aussi de notre compréhension »
Et maintenant Hugues Panon ne pense plus qu’à une chose : retourner à Diyarbakir.
Photo Hugues Panon (Ouest France 16 mai 1979)
(Archives municipales de Rennes)
Légendes :
L’arrivée des bus rennais à Diyarbakir
La fête des bus sous les fenêtres de la mairie