Photo : Campagne de la circonscription d’Urfa
En réponse à l’appel du DEM-Parti, le Parti de la Démocratie et de l’Égalité des Peuples, une délégation des Amitiés kurdes de Bretagne s’est rendue au Bakur, le Kurdistan de Turquie, afin d’observer le processus électoral en Turquie et dénoncer les potentielles fraudes et manœuvres entravant le jeu électoral. Nous avons décidé collectivement de partir à Diyarbakir, ville qui entretient des relations, avec Rennes depuis des décennies, afin de permettre à un ami à mobilité réduite de participer au voyage. Son regard critique et avisé nous rapportera, dans un prochain article, les difficultés à se déplacer, seul, quand on est en fauteuil, dans une ville comme Diyarbakir, dont il faut néanmoins souligner les efforts, d’autant plus remarquables qu’ils sont plutôt rares en Turquie.
Nous nous sommes séparés en deux groupes, sous l’œil attentif de nos deux journalistes et photographes qui témoignent de leurs observations dans un reportage de 12 pages publié dans le Mensuel de Rennes de mai 2024.
Expliquons brièvement le fonctionnement des scrutins locaux en question : les électeurs participent à quatre élections en même temps. Les votants entrent donc dans le bureau de vote, émargent puis se saisissent d’une enveloppe, d’un tampon officiel de la République de Turquie sur lequel est indiqué Evet (oui en turc) et de trois bulletins afin d’élire :
- 30 élus pour les maires métropolitains
- 1 363 maires et mairesses de districts
- 1 282 conseillères et conseillers provinciaux et 21 001 conseillères et conseillers municipaux
- Dans les isoloirs se trouvent un certain nombre de bulletins de votes pour l’élection du mukhtars, des fonctionnaires de l’État turc, jouant un rôle similaire à celui de maire de village ou de représentant de quartier supposément non affilié à un parti politique.
Ce sont les enjeux politiques liés à l’élection du mukhtar, l’incarnation la plus locale de l’État qui sont à l’origine du meurtre d’un membre du DEM dans la province de Sûr à Diyarbakir. Les règlements de compte entre mukhtars sont malheureusement fréquents et ont parfois de graves conséquences.
Notre groupe part à Siverek dans la circonscription d’Urfa. Après quelques péripéties, nous finissons par arriver à destination. Notre référente est originaire de cette région, mais a beaucoup voyagé, notamment en travaillant pour des ONG. Elle parle un anglais parfait. Son engagement et sa détermination feront là toute la qualité de notre observation. Nous sommes allés principalement dans les villages alentours et avons pu visiter 12 bureaux de vote.
Photo : Affiche présente dans les locaux du DEM Parti
Notre référente nous présente la situation et les informations en leur possession ; sur 587 bureaux dans ce district, 77 ont interdit l’accès aux observateurs et observatrices officiels (partis politiques non AKPAdalet ve Kalkınma Partisi (Parti de la Justice et du Développement), parti islamiste aux mains de l’autocrate Erdogan. More, en particulier du DEM), ce seront nos destinations principales. D’importantes irrégularités ont été relevées dans les districts de Ceylanpinar et de Viranşehir, plutôt connus pour être favorables au DEM. Elle nous parle de deux cas de fraudes avérées, observées avant notre arrivée le matin même :
- Des bulletins ‘’prévôtés’’ sont glissés dans les urnes empêchant les vrais électeurs de voter (notre arrivée tardive ne nous permettra pas de confirmer de nos yeux ces manipulations).
- Des personnes influentes de certains villages sont payées pour un nombre donné de promesses de votes. Notre encadrante nous montre des photos, sur des groupes WhatsApp pro-AKP, de gens qui font un selfie avec leur bulletin tamponné visible, afin de prouver leur bonne foi et ainsi être récompensés.
À noter que deux grandes familles ont un pouvoir important dans la région ; la famille Bucak (liée à l’AKPAdalet ve Kalkınma Partisi (Parti de la Justice et du Développement), parti islamiste aux mains de l’autocrate Erdogan. More), grande fournisseuse des ‘’gardiens de village’’ et compromise dans le ‘’scandale de Susurluk’’ en 1996, et la famille Izol (liée au Refah). Elles ont une emprise sur l’économie locale, notamment les champs de pétrole, et sur les travailleurs et travailleuses.
Globalement nous avons observé une forte présence militaire dans chaque école, parfois même dans les bureaux de vote, où le DEM n’était que rarement représenté par un assesseur. Pourtant il y avait beaucoup de monde dans certains bureaux, et même dans certains isoloirs… Nous avons même pu observer un homme prendre la main d’une femme tenant le tampon, appliquer ce dernier sur le sigle de l’AKPAdalet ve Kalkınma Partisi (Parti de la Justice et du Développement), parti islamiste aux mains de l’autocrate Erdogan. More, rideau de l’isoloir ouvert.
Des détails gênants retiennent notre attention tel que la précarité du matériel utilisé dans les bureaux ; absence de tables pour tamponner dans certains isoloirs, ou de scellés dans le dernier bureau auquel l’accès nous a été refusé. Une personne à Gonululu s’est aussi plainte devant nous qu’on lui avait volé son vote. En effet, son nom apparaissait parmi les signataires ayant déjà votés alors qu’il n’en était rien. Ce qui confirmerait les suspicions de bulletins pré-tamponnés.
En sortant d’un bureau installé dans l’enceinte d’une mosquée, nous croisons un homme enturbanné, l’air déterminé et énervé, entrant dans le bureau. Un autre homme le suit en disant « mais ne t’inquiète pas, nous avons fait tout comme tu nous l’avais indiqué, tout ira bien », des hommes en arme sur leurs talons. Une tension très forte était palpable autour de ce bureau.
Globalement la présence militaire était moins intense que l’an dernier dans le district d’Igdir. Mais c’est lors de notre retour le lendemain matin, en prenant un vol intérieur presque entièrement rempli de militaires, que nous constatons l’ampleur du stratagème et des moyens déployés pour changer la donne dans cette région… ça ne suffira pourtant pas ! Un rapport complet de la délégation sera prochainement disponible.
Les membres de la délégation