“En ce début de XXIe siècle, les 40 millions de Kurdes du Moyen-Orient constituent le plus grand peuple au monde sans État”, peut-on lire sous la plume d’Olivier Piot et de Julien Goldstein (“Kurdistan, la colère d’un peuple sans droits”, préface de Bernard Dorin).
Les Kurdes en ordre de marche…
Sans État, mais pour combien de temps ? Le rêve kurde, considéré comme une douce utopie jusqu’à lors, pourrait devenir réalité. Déjà les Kurdes d’Irak (“Kurdistan Sud”) ont obtenu, à la chute du dictateur Saddam Hussein, le statut d’une région autonome dans le cadre de la République d’Irak. Les Kurdes syriens (“Kurdistan occidental”) sont en ordre de bataille pour secouer le joug du dictateur Bachar el-Assad tout en tenant leurs distances avec le Conseil national syrien (CNS) qui, en appelant la Syrie “République arabe syrienne”, n’entend pas reconnaître les différents peuples de Syrie. La récente démission de Bassma Kodmani, porte parole du CNS, souligne, comme il est écrit dans La Croix, “les tensions dans l’opposition syrienne, éloignant la perspective d’un gouvernement provisoire”. Les Kurdes du “Sud-est anatolien” pour les Turcs, du “Kurdistan du Nord” pour les Kurdes, opposent, avec un certain succès, une résistance sur le front politique et sur le terrain de la lutte armée, malgré une répression sans précédent dont ils sont l’objet de la part d’un régime dictatorial qui bénéficie toujours de la complaisance des États-Unis et des pays européens. De la stratégie de harcèlement la guérilla kurde est passée à l’offensive de moyenne intensité avec occupation du terrain. Enfin, les Kurdes d’Iran (“Kurdistan oriental”) subissent une répression féroce de la part du régime sanguinaire de Mahmoud Ahmadinejad. D’après Iran Human Rights (RSI) de nouvelles exécutions de prisonniers politiques kurdes iraniens sont imminentes. Mais la crise déclenchée par le programme nucléaire iranien ne sera pas sans conséquence dans le jeu des alliances et les Kurdes auront leur mot à dire.
…ne peuvent compter que sur eux-mêmes
Pour autant, les indicateurs ne sont pas favorables aux Kurdes qui ne doivent compter que sur eux-mêmes pour arracher à la communauté internationale la reconnaissance de leur identité et ce quelles que soient les formes de gouvernance qu’ils préconisent. La crise syrienne révèle au grand jour des antagonismes profonds entre puissances régionales, des intérêts divergents entre les grandes puissances mondiales, et aussi une propension à instrumentaliser et à diaboliser les revendications kurdes. On oublie que les Kurdes sont 40 millions ! A titre de comparaison les Israéliens, les Palestiniens, les Jordaniens, les Libyens sont de 6 à 8 millions chacun, les Saoudiens 26 millions, les Syriens 22 millions dont 15% de Kurdes, les Irakiens 29 millions dont 24% de Kurdes, les Turcs 74 millions dont 20 à 25 % de Kurdes, les Iraniens 77 millions dont 12 % de Kurdes. On peut ergoter sur les chiffres et les pourcentages, on peut se gausser des chamailleries entre Kurdes, on peut tirer argument de la puissance économique des uns ou de la position stratégique des autres, mais les faits sont là : les politiques d’éradication et/ou d’assimilation menées à l’encontre des Kurdes par les Saddam Hussein, Hafez et Bachar el-Assad, Atatürk et Erdogan et par d’autres, bien avant eux, ont toutes échoué. Les forces internationales qui s’apprêtent à intervenir dans cette partie du monde devraient le savoir.
André Métayer