A travers les murs la prison d’Elazığ

Une correspondance est maintenant établie avec Leyla Güven, une grande figure de la résistance kurde incarcérée dans la prison de haute sécurité d’Elazığ. Ex co-maire de Viranşehir et membre du Congrès des Pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe, élue députée HDP de Hakkari le 7 juillet 2018, elle est démise de son mandat le 4 juin 2020. Le 21 décembre 2020, elle est condamnée à 22 ans et trois mois de prison par le tribunal de Diyarbakır.

Hülya Alökmen Uyanık – Source Twitter

A Leyla Güven s’est jointe Remziye Yaşar, élue en mars 2019 co-maire de Yüksekova, interpellée le 15 octobre 2019, mise en détention, destituée et qui vient d’être condamnée à 17 années et 6 mois de prison.

S’est jointe également Hülya Alökmen Uyanık, élue co-maire de Diyarbakir le 31 mars 2019. Pierre Barbancey avait qualifié Hülya Alökmen Uyanık de “femme du jour” dans l’Humanité, au lendemain de son élection de co-maire de Diyarbakir : “elle a été de tous les combats pour la reconnaissance des droits du peuple kurde”. Sa lettre, sortie de la prison, raconte, avec pudeur et retenue, son histoire militante et lève un coin du voile sur la vie des détenues à la prison de type E d’Elazığ.

André Métayer

Depuis juin 2021, je suis détenue à la prison d’Elazığ, c’est à dire que je suis avec la camarade Leyla [Güven]. Déjà plus d’un an de détention mais depuis le premier jour vos cartes pleines de couleurs et d’espoir nous donnent le moral. Je pense qu’il serait pas mal que je me présente un peu. Je suis infirmière, j’ai travaillé quelques 22 ans dans le service public et, une nuit de 2016, j’ai appris que dans le cadre des lois d’exception mon nom avait été publié au journal officiel et que j’avais perdu mon travail. L’affaire est suivie par une commission qui a été créée par la suite mais ça fait déjà 5 ans.

Lorsque je travaillais, j’étais syndicaliste. J’ai été responsable de l’antenne de Diyarbakir du syndicat SES, le syndicat des travailleurs de la santé et des services sociaux [membre du KESK]. Et parce que pendant cette période, j’ai participé à quelques panels du DTK, j’ai été condamnée en avril 2021 à 11 années de prison avec exécution immédiate. Alors même que pour ce dossier, je n’avais été convoquée qu’à une seule audition. Pourquoi une telle peine et cette incarcération ? C’est clair, je suis punie parce qu’après mon éviction, j’ai commencé à travailler au HDP. En 2019, j’ai été co-candidate à la mairie de la métropole de Diyarbakir. J’ai été élue mais comme j’avais été démise de mes fonctions à l’hôpital, on m’a interdit de prendre mon poste à la mairie. Je n’ai pas abandonné pour autant, j’ai été élue à la co direction du HDP à Diyarbakir. Poste que j’ai occupé pendant près de 17 mois jusqu’à mon interpellation en octobre 2020. J’ai été libérée mais dans le cadre du dossier que j’ai évoqué plus haut, j’ai été jugée avec la vitesse de la lumière, condamnée et incarcérée. Puis j’ai été transférée de Diyarbakir à Elazığ. Ma famille, mes deux fils de 13-15 ans sont à Diyarbakir [à plus de 150 km] et ils essaient désespérément de comprendre ce qui se passe. Actuellement, j’attends la décision d’appel.

Autre chose : ici tout le monde souhaite vous écrire mais malheureusement on ne peut pas mettre plus d’une lettre par enveloppe et les courriers internationaux sont devenus vraiment chers. C’est pourquoi, les camarades vont vous écrire une phrase chacun pour vous transmettre leurs salutations.

Je précise que nous avons rédigé le courrier un peu précipitamment parce que dans le cadre d’une procédure ouverte à cause de nos chants et danses, nous avons été condamnées à un mois d’interdiction de correspondance. Pendant un mois ni courrier ni téléphone. Comme la décision n’a pas encore été notifiée, j’espère que cette lettre pourra passer.

Encore aujourd’hui, nous n’avons qu’un accès limité aux livres : pas plus de 7. Les magazines et publications sont toujours interdits. Nous sommes abonnées à certains journaux mais si ces journaux ont déjà été sanctionnés par l’organisme d’État appelé “la commission des publications”, nous ne pouvons pas les recevoir. C’est une façon dérobée de nous imposer leur censure. Et, malheureusement la procédure devant le tribunal constitutionnel a échoué.

Il y a ici beaucoup de jeunes camarades dont les peines ont été récemment confirmées. Et, comme elles ont protesté contre les décisions prises dans le cadre de l’état d’urgence, elles sont placées à l’isolement. A cause de ça, leur libération sous condition a été annulée. Par exemple, alors qu’elles pourraient être libérables au bout de trois ans, elles devront rester sept ans. Elles ont saisi le tribunal constitutionnel et attendent. C’est une partie des difficultés que nous vivons ici. Merci encore pour votre intérêt et votre solidarité.

Avec affection et respect.

Hülya Alökmen Uyanık

Pour mémoire :

DTK : Congrès pour une société démocratique, le plus vaste réseau d’organisations de la région kurde. Il a servi de plateforme démocratique pluraliste réunissant des représentants de partis politiques, d’ONG, de conseils locaux, de syndicats, de mouvements de défense des droits des femmes ou écologistes et de nombreux autres acteurs

HDP : Parti démocratique des Peuples, “représenté à la Grande Assemblée nationale de Turquie. Situé politiquement à gauche, issu du mouvement politique kurde, il se veut « représenter la société turque dans sa diversité » et rester dans la continuité du mouvement protestataire de 2013 (manifestations du parc Gezi). Attaché à l’écologie politique, il défend par ailleurs les droits des Kurdes, des femmes et des LGBT.” (Wikipédia).

KESK : Confédération des syndicats de fonctionnaires, membre de la Confédération européenne des Syndicats, comme le sont aussi les syndicats français CFDT, CFTC, CGT, FO, UNSA. La CES a été créée en 1973 afin de défendre les intérêts des travailleurs au niveau européen et de les représenter devant les organes de l’Union européenne. KESK est le syndicat le plus combatif du service public en Turquie.

Ecrire à :

Leyla Güven

Elazığ Kadın Kapalı Cezaevi
D-10
Koğuşu Elazığ
Turquie

Remziye Yaşar

Elazığ Kadın Kapalı Cezaevi
D-9
Koğuşu Elazığ
Turquie

Hülya Alökmen Uyanık

Elazığ Kadın Kapalı Cezaevi
D-10
Koğuşu Elazığ
Turquie