Lundi 6 février : l’émotion est grande à l’annonce du violent tremblement de terre qui vient de frapper le sud de la Turquie et l’est de la Syrie, le nord du Kurdistan de Turquie et le RojavaKurdistan occidental (Kurdistan de Syrie), divisé en trois cantons : Cizirê (le canton le plus peuplé comprenant notamment la ville de Qamişlo), Kobanê et Efrin. More (Kurdistan occidental, en Syrie), causant des milliers de morts, détruisant des milliers de bâtiments et faisant d’innombrables sans-abris. Une émotion qui secoue le monde entier et particulièrement les amis des Kurdes. Les Amitiés kurdes de Bretagne (AKB) sont de ceux-là. Un message de solidarité et un appel aux dons sont immédiatement lancés et l’association envoie deux volontaires et militants chevronnés, François et Gaël. Ils connaissent particulièrement bien le pays, sa population, mais aussi la politique répressive qu’exerce une dictature impitoyable, notamment envers les Kurdes : « ça m’a choqué d’apprendre ce qui c’était passé… nous ne pouvions pas rester les bras croisés » dira l’un d’eux.
Mission accomplie
Aujourd’hui de retour, on peut estimer que la mission a atteint ses objectifs. François et Gaël se sont rendus à Diyarbakir, où ils ont pu retrouver des amis et constater quelques immeubles effondrés, notamment derrière la mairie, avant de prendre la route pour Adiyaman, ville préfectorale de 300 000 habitants, dans l’une des régions les plus durement touchées par le séisme. La ville, en grande partie détruite, est aujourd’hui encore privée de réseau d’eau, d’électricité, et de nourriture. L’aide de l’Etat s’est révélée tardive et notoirement insuffisante.
A Adiyaman, François et Gaël ont rejoint le Yeni Mahalle Cemevi (centre culturel alévi) transformé en centre de secours d’urgence. S’y relaient par centaines des bénévoles des organisations de la société civile, venus de tout le pays. Jamais plus de quelques jours : le travail est trop pénible et le froid trop intense, la poussière qui sature l’air depuis le séisme irrite les yeux et provoque des infections respiratoires. La plupart sont syndicalistes ou militants de partis de gauche. Ils gèrent, sur trois plates-formes logistiques réparties dans la ville, l’afflux de dons (plusieurs semi-remorques chaque jour), contrôlent, trient et organisent la distribution, sur place et vers d’autres centres, dans les quartiers et les villages, comme le Yeni Mahalle Cemevi. Des dons en nature uniquement, ici l’argent n’a plus cours, il n’y a rien à acheter.
Il faut noter l’importance vitale de ces plates-formes citoyennes : comme nous l’écrivons plus haut, l’aide de l’Etat – malgré l’héroïsme sur le terrain des sauveteurs de l’AFAD – reste largement insuffisante. Les réfugiés syriens, nombreux dans la région, en sont, par exemple, exclus.
Ils étaient attendus
François et Gaël n’étaient pas partis les mains vides. Des 7 500 € de dons recueillis par AKB en un temps record (merci amis donateurs, amis connus et inconnus), 1 750€ ont été utilisés sur place pour la population sinistrée d’Adiyaman, via l’achat et l’acheminement, depuis Diyarbakir, de plus d’une tonne de produits alimentaires. Une goutte d’eau dans cet océan de malheurs, mais un geste de solidarité ô combien apprécié.
Ils ont été accueillis à bras ouverts : ils étaient attendus ! Ils reviennent avec des images, des témoignages, des observations sur le terrain. Ils ont aussi noué des contacts, forts de leur connaissance du contexte, du réseau d’amis de longue date, fruit de missions antérieures, comme en témoignent les livres « Karapinar » (1998), « Ben U Sen » (2016) ou ” Vingt-cinq années aux côtés du peuple kurde” (2020). C’est donc tout naturellement qu’une précieuse collaboration s’est établie, à Adiyaman et à Diyarbakir, avec Eğitim Sen (Syndicat des travailleurs de l’éducation et des sciences), qui coordonne, avec d’autres organisations non gouvernementales, l’aide aux sinistrés.
Eğitim Sen, l’un des syndicats des plus combatifs
Eğitim Sen est l’une des branches de la confédération des syndicats des travailleurs du service public (KESK) affiliée à la confédération des syndicats des travailleurs du service public (CES). KESK, bien connu des AKB, est considéré comme l’un des syndicats des plus combatifs en Turquie.
C’est un interlocuteur majeur de la société civile et de la résistance à Erdoğan, identifié depuis longtemps par les AKB pour d’éventuels partenariats. Le 6 juin 2018, lors du congrès de la CFDT qui se tenait à Rennes, la parole a été donnée aux invités internationaux parmi lesquels lhan Yigit, secrétaire de KESK, qui reçut une véritable ovation lorsqu’il monta à la tribune.
Des délégations des AKB ont rencontré à Diyarbakir ses représentants à plusieurs reprises. Nous avons relaté la dure répression dont il est l’objet depuis des années et donné son point de vue sur la question kurde, “un des plus sérieux problèmes de la politique intérieure en Turquie”. Grâce à ces nouveaux liens, des coopérations peuvent s’imaginer dans un futur proche.
La responsabilité écrasante d’Erdoğan
61 avocats ont déposé une plainte conjointe contre le président turc Erdoğan et plusieurs ministres et fonctionnaires pour homicide intentionnel par négligence. Ils accusent le président, les ministres, les gouverneurs et les entreprises de construction de meurtre intentionnel par négligence, d’abus de pouvoir, de manipulation et de destruction de preuves. « Ils ont transformé des maisons pourries en cercueils avec des amnisties de la construction. »
François et Gaël confirment :
nous avons constaté une impréparation et un manque criant de moyens dus, de l’avis général, à des détournements de fonds. Ils ont conduit à un retard et un manque d’efficacité des secours et de l’aide aux victimes. Les Kurdes, bien évidemment, n’ont pas été les premiers servis. Ils sont restés 3 jours sans aucune aide extérieure. Le gouvernement s’acharne à vouloir neutraliser toute initiative, d’où qu’elle vienne, et y a réussi partiellement : ainsi le centre d’aide d’urgence ouvert par le HDPParti de la Démocratie des Peuples (Halklarin Demokratik Partisi). More s’est vu, au bout de quelques jours seulement, placé sous la tutelle d’un administrateur (“Kayun”), à l’image des municipalités détenues par le parti kurde. Avec les organisations non gouvernementales, avec le HDPParti de la Démocratie des Peuples (Halklarin Demokratik Partisi). More, opposant irréductible à la politique répressive et corrompue du système mis en place par Erdoğan, nous dénonçons la cynique “politique de la pelleteuse”, qui vise à effacer au plus vite les traces du séisme et faire place nette pour les élections, prévues au printemps.
André Métayer
Photos : F. Legeait et G. Le Ny