Il faut lire la chronique de l’écrivain Joseph Andras, parue dans Frustration Magazine (18 octobre 2023), Le Moyen-Orient crie justice, qui affûte nos armes et donne du style à nos frustrations :
« Deux États bombardent deux peuples en cet instant. Au Kurdistan syrien et en Palestine. Chaque heure qui passe nous mine. Mais nos mots n’ont pas le moindre sens là-bas. S’ils en ont un, ça n’est qu’ici. Ceci oblige à parler droit, c’est-à-dire à parler juste ».
Joseph Andras, le « poète de l’engagement »
Joseph Andras, le « poète de l’engagement », comme le surnomme Libération, auteur de nombreux romans, a écrit notamment, en 2016, « De nos frères blessés » (porté à l’écran en 2020) relatant l’histoire du militant communiste Fernand Iveton, exécuté, pour l’exemple, durant la guerre d’Algérie en raison de son engagement et de ses actions auprès du FLN. En 2017, Joseph Andras signe une tribune dénonçant l’incarcération de journalistes en Turquie. En 2019, il prend fait et cause pour Nûdem Durak jeune chanteuse condamnée, en 2015, à dix-neuf ans de prison. Le 5 mai 2023, c’est la sortie, aux éditions Ici-bas, de « Nûdem Durak. Sur la terre du Kurdistan ». (dont France-Kurdistan et les Amitiés kurdes de Bretagne font la promotion) « Andras ne montre pas Nûdem Durak comme une héroïne, mais comme un exemple, une figure emblématique et banale de ce que vivent les Kurdes […]. Il donne à la persécution des Kurdes une incarnation » (Sébastien Omont, Mediapart).
Résister est légitime mais la fin ne peut justifier tous les moyens
Oui, Il faut lire la chronique de Joseph Andras qui analyse en parallèle, la situation des deux peuples, l’un, au Kurdistan, « historiquement colonisé par les États turc, iranien, irakien et syrien », l’autre, en Palestine, « l’une des dernières colonies de par le monde ». Il démontre combien sont liées, malgré les apparences, Turquie et Israël, ces « deux puissances coloniales ». Abdullah Öcalan, disait déjà en mars 1998 : «Les Turcs ont conclu un accord avec Israël pour tuer les Kurdes ».
Résister à l’oppression est légitime, y compris par les armes, affirme J. Andras, que « les États coloniaux turc et israélien qualifient de terrorisme » mais, si résister est légitime, il est des moyens de résistance qui le sont moins. La fin ne peut justifier tous les moyens. « Que ça soit clair, il est moralement inacceptable de se réjouir de la mort de civils … Le faire c’est oublier les principes qui nous engagent dans la perspective d’une paix qui doit nous sauver. Frapper les civils, c’est affaiblir la résistance ». De ce point de vue il fait la démonstration de la différence idéologique, et des méthodes et des actions qui en découlent, entre le PKKPartiya Karkerên Kurdistan, Parti des Travailleurs du Kurdistan, fondé en 1978. More qui s’est engagé de longue date « à ne frapper que les cibles militaires et policières », et le Hamas « dont les menées antidémocratiques ne sont plus à démontrer », et qui « ne constitue pas une force d’émancipation ». Mais il ne saurait, tant s’en faut, réduire la question palestinienne à celle du Hamas.
Enfin, cette longue chronique se termine par deux propositions qui méritent l’attention.
Solution politique pour le Kurdistan
Un jour, comme toujours, les armes seront rangées. Ce jour n’est pas venu.
Les forces d’émancipation kurdes ne se lassent pas de le scander, jusqu’en France : « Solution politique pour le Kurdistan ! » Le PKKPartiya Karkerên Kurdistan, Parti des Travailleurs du Kurdistan, fondé en 1978. More a de longue date proposé un plan de paix et, par suite, le désarmement complet de ses unités. Tout est prêt sur le papier ; l’État turc s’y refuse et Erdoğan a mis un terme aux derniers pourparlers. Le PKKPartiya Karkerên Kurdistan, Parti des Travailleurs du Kurdistan, fondé en 1978. More – et avec lui le parti de gauche HDPParti de la Démocratie des Peuples (Halklarin Demokratik Partisi). More, quoique sous des modalités différentes, réformistes et légalistes – réclame l’autonomie des territoires kurdes au sein des frontières constituées. Non un État-nation indépendant, comme il le souhaitait originellement, mais le respect démocratique de la vie culturelle, linguistique et politique kurde dans les quatre portions du Kurdistan historique. « On ne peut concevoir de solution plus humaine et modeste », note Öcalan du fond de sa prison. La réélection d’Erdoğan au mois de mai repousse à nouveau l’espoir de la paix. Mais une solution, qui passera par la libération du leader du PKKPartiya Karkerên Kurdistan, Parti des Travailleurs du Kurdistan, fondé en 1978. More, existe bel et bien sur la table – aux internationalistes de l’appuyer à leur façon.
Israël-Palestine : un Etat unitaire
En Palestine, la fameuse « solution à deux États » est caduque de l’aveu de tous les analystes informés : une fable pour plateaux de télévision et discutailleries diplomatiques.
Expansion coloniale oblige, un État palestinien – auquel le Hamas a finalement consenti – n’est plus à même de voir le jour. La Cisjordanie est totalement disloquée et aucune continuité territoriale n’est assurée avec Gaza. Le ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrits, a lui-même reconnu en juillet 2023 que « le rêve arabe d’un État en Cisjordanie n’est plus viable ». Il ne reste aux Palestiniens que deux alternatives : « renoncer à leurs aspirations nationales » (et vivre en Israël en tant qu’individus) ou « émigrer » dans un pays arabe.
Pourtant, parmi les ruines, demeure une solution : un État “commun” ou “binational”. Perspective incommode, à l’évidence. Certainement pas réalisable dans l’immédiat. Mais des gens de justice s’y rallient de part et d’autre. En 2001, Michel Warschawski a publié l’ouvrage Israël-Palestine le défi binational : il invitait, sur le modèle sud-africain, à tourner la page de l’apartheid par un État unitaire.
La décennie suivante, l’historien israélien Ilan Pappé y appelait à son tour : « décolonisation, changement de régime et solution à un État ». De leur vivant, Georges Habbache et Edward W. Saïd sont allés dans le même sens : le premier a loué « un État démocratique et laïc » comme « seule solution » ; le second indiqué que les Israéliens et les Palestiniens vivaient dans une promiscuité quotidienne telle qu’une séparation étatique n’avait aucun sens. Pour que le sang ne coule plus, reste à bâtir un espace de « citoyens égaux en paix sur une même terre ».
La conclusion de Joseph Andras, empreinte de modestie, est, néanmoins, un appel puissant à la mobilisation pour des causes qui nous sont chères :
« Ici, oui, nous ne pouvons rien. Tout juste nous faire l’écho malaisé des voix démocratiques en lutte. C’est peu. Mais ce peu-là, entre les cris et l’hystérie médiatique française, vaut peut-être un petit quelque chose si l’on aspire à la libération des peuples ».
André Métayer