Elections : en Turquie, comme en Russie, les dictateurs sont à la manœuvre

Ce qui est le plus exécrable est cette duplicité des dictateurs modernes se parant des vertus de la démocratie et les détournant sans vergogne pour mieux asseoir leur pouvoir sans partage. Elle est bâtie sur deux vices pervers et anti démocratiques : le couple corruption/répression. Le maître en la matière est aujourd’hui Vladimir Poutine, imité en cela par un élève appliqué, Recep Tayyip Erdoğan, tous deux pouvant se targuer d’être présidents « démocratiquement » élus, lors de consultations électorales soigneusement préparées en prenant notamment le contrôle des médias, des assemblées parlementaires et de toutes les commissions de contrôle, comme la Commission électorale centrale de la fédération de Russie ou le Haut Conseil électoral (YSK) en Turquie… et en procédant à l’élimination de tout candidat pouvant sérieusement contester leur leadership. Quelle ignominie !

Alexeï Navalny, principal opposant au régime russe, condamné à 19 ans d’emprisonnement, est mort mystérieusement ce 16 février 2024, dans une prison du cercle polaire, juste un mois avant que ne se déroule -quelle coïncidence ! – le premier tour de l’élections présidentielle à laquelle se représente Vladimir Poutine, comme l’autorisent les amendements à la Constitution qu’il a fait voter en 2020. Plus de 400 personnes ont déjà été arrêtées en Russie, en marge d’hommages à Navalny. Tous les opposants à Poutine sont en exil ou en prison, comme ceux et celles à Erdoğan : des milliers sont détenus dans les prisons turques parmi lesquels Abdullah Öcalan dont on est sans nouvelle depuis trois années. Nous sommes revenus aux temps du Moyen-âge où les monarques envoyaient dans des culs de basse-fosse les gens qu’ils voulaient faire disparaître.

Liberté pour Öcalan

Mais le peuple kurde ne reste pas inactif. Depuis le 1er février une « Grande marche pour la liberté » est partie de Van et de Kars dont l’objectif premier est de mettre fin à l’isolement carcéral d’Abdullah Öcalan. Plusieurs cortèges venus de Paris, Mannheim ou encore Bâle ont également convergé vers Strasbourg, pour un grand rassemblement, ce jeudi 15 février. L’Initiative internationale “Liberté pour Abdullah Öcalan, Paix au Kurdistan” a publié une déclaration pour marquer la 25e année de captivité du leader kurde. Des détenus politiques ont entamé une grève de la faim le 27 novembre, pour mettre fin à l’isolement carcéral d’ Abdullah Öcalan et obtenir sa libération. C’est dans ce contexte que se préparent les élections, locales et régionales, qui se dérouleront en Turquie le 31 mars prochain.

31 mars 2024 : élections locales et régionales en Turquie

Comment les choses se présentent-elles à quelques mois de ces élections ? c’est la question que chacun se pose et que Gilles Lemée a posée à Eyyup Faruk Doru, représentant pour l’Europe du parti pro kurde DEM PARTI (Parti pour l’égalité des peuples et la démocratie), qui a tiré les enseignements de l’accord mal négocié avec le CHP nationaliste lors de la dernière confrontation électorale, la présidentielle, dont le résultat, la réélection d’Erdoğan, a laissé un goût amer.

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Photo (c) Gael Le Ny

Pour les élections prochaines, nous avons dit que nous n’allions plus soutenir aucun parti ‘’gratuitement’’ : si on arrive à la signature d’un accord officiel et public, nous allons soutenir les candidats dans les villes que nous ne pouvons pas gagner seuls comme Istanbul, Izmir, Ankara, etc. Ce pourrait être un candidat social-démocrate ou un candidat unique d’autres partis. Si nous n’arrivons pas à un accord politique avec d’autres partis, nous présenterons nos candidats dans toutes les villes de Turquie sous l’étiquette du DEM.

G. L. – Avec la répression qu’organise le régime, allez -vous pouvoir participer ‘’normalement ‘’ à ces élections ?

Mais nous n’avons jamais participé ‘’ normalement’’ aux élections ! Il y a toujours eu des arrestations, il y a toujours eu des pressions politiques, des fraudes électorales. Et maintenant, en plus de ça, nous avons un grand problème avec la concentration des forces militaires dans les villes kurdes stratégiques. Les militaires votant dans leur ville de garnison, le gouvernement a déplacé des milliers de militaires qui vont voter dans les villes importantes pour le pouvoir, mais aussi dans de petites villes de la frontière avec le Kurdistan de Syrie : où il y a, par exemple, dix mille électeurs, le gouvernement envoie cinq mille militaires ce qui va évidemment fausser les résultats électoraux ! En plus de cela, il y a aussi de fausses inscriptions [sur les listes électorales]. Ces procédés de l’Etat turc sont illégaux et nous avons intenté des procès, mais, comme toutes les procédures judiciaires sont aux mains de l’AKP, il n’y a aucun changement.

Des « primaires » pour désigner les candidats

Ce qui est étonnant – et admirable – est que le DEM n’est aucunement à court de candidats ! Alors que le plus court chemin pour aller à la case « prison » est un mandat électif ! C’est notamment vrai à Hakkari. Dilek Hatipoğlu, élue maire de Hakkari en 2014, arrêtée le 17 novembre 2016, a été condamnée à 15 ans de prison pour « appartenance à une organisation terroriste ». Cihan Karaman, élu maire de Hakkari 31 mars 2019, arrêté en octobre 2019, emprisonné, a été condamné, en 2021, à 25 mois de prison. Leur prédécesseur, Metin Tekçe, qui est venu en 2005 en Bretagne (Rennes, Brest, Douarnenez…), menacé de mort, avait été exfiltré vers la Suisse. Néanmoins, le DEM, qui a procédé, ici comme ailleurs, à une vaste consultation pour la désignation officielle des candidats, n’a pas été pris au dépourvu : il a fallu un deuxième tour de scrutin pour désigner Mehmet Sıdık Akış et Viyan Tekçe candidats du parti DEM à la coprésidence de la municipalité de Hakkari. Pas moins de quatre candidates briguaient la coprésidence remportée par Viyan Tekçe, non des concurrentes mais des amies : « La course et la lutte commune de chacune d’entre nous sont contre la politique des administrateurs et l’usurpation de la volonté du peuple. En tant qu’amies, nous nous sommes toutes soutenues les unes les autres pendant cette primaire. C’est avec cette solidarité que nous allons lutter ensemble ». Viyan Tekçe, dont le frère a été assassiné, fait partie de cette génération de jeunes militantes qui prennent la relève.

DEM Parti prêt pour le combat à Istanbul, avec Meral Danış Beştaş

Nous l’avions déjà annoncé : le DEM Parti a lancé sa campagne pour les élections municipales et régionales et nous avons présenté Ahmet Türk, candidat à Mardin, et Serra Bucak et Doğan Hatun, candidats à Diyarbakır.
A Istanbul, le DEM présente, comme candidats à la co-présidence de la mairie métropolitaine, Meral Danış Beştaş, députée d’Erzurum, et Murat Çepni, l’ancien député d’Izmir, deux personnalités aguerries et expérimentées dans l’art de la négociation. La bataille va être rude à Istanbul. Ekrem Imamoğlu (CHP), l’actuel maire d’Istanbul, a besoin des voix kurdes pour être réélu et les derniers sondages montreraient « que plus de 70 % des électeurs du DEM souhaitent que leur parti se lance dans la course à Istanbul avec son propre candidat ».(Yavus Baydar, journaliste, Mediapart 15/02/24).

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Meral Danış Beştaş, nous l’avons rencontrée dans le cadre de la préparation du colloque organisé, à Paris, en mai 2011, par la CNSK : « Quelle solution politique à la question kurde en Turquie ? » Nous gardons de cette avocate du Barreau de Diyarbakır, née en 1967 à Mazıdağı (Mardin), Vice-présidente du BDP (Parti pour la Paix et la Démocratie) le souvenir d’une battante, très investie dans les questions relatives aux droits des femmes et aux droits de l’homme, qu’elle défend avec une froide détermination. Dénonçant la passivité des pays européens, elle déclara, du haut de la tribune : « on aurait pu penser que la Turquie finirait, avec le temps, par ressembler à l’Union européenne, mais c’est le contraire qui se produit : c’est l’Union européenne qui va finir par ressembler à la Turquie.”

… et à Ankara avec Gültan Kışanak

A Ankara, le DEM présente, comme candidats à la co-présidence de la mairie métropolitaine, Öztürk Türkdoğan, ancien coprésident de l’Association des droits de l’homme (İHD, et Gültan Kışanak, ancienne députée, ancienne co-maire de la ville métropolitaine de Diyarbakır, incarcérée depuis 8 ans dans la prison de Kandıra. Toujours combative, Gültan Kışanak a fait passer, via ses avocats, ce message : c’est un devoir pour elle d’accepter d’être la candidate du DEM Parti pour briguer la municipalité d’Ankara et elle demande à ses futurs électeurs de partager ses motivations : “ Nos problèmes, notamment la question kurde et la libération des femmes, doivent être discutés à la source, à Ankara. Nous nous lançons dans la construction de ponts, pour la paix sociale, de Diyarbakır à Ankara et d’Ankara aux quatre coins de la Turquie. J’invite chacun d’entre vous, qui croyez en la paix, la démocratie et la liberté, à vous inscrire dans cette lutte et je vous souhaite du succès à l’avance.”
Gültan Kışanak qui a été reçue officiellement, en 2015, par la Maire de Rennes, Nathalie Appéré, a laissé des traces indélébiles et renforcé les liens de solidarité entre les deux villes. On se souviendra de sa visite au « carré Lully » et de son intervention à la Maison internationale de Rennes.

André Métayer