C’est avant tout une très belle victoire pour le nouveau parti pro kurde, le DEM Parti, qui remplace les précédents, dissouts ou menacés d’interdiction, comme son prédécesseur, le HDPParti de la Démocratie des Peuples (Halklarin Demokratik Partisi). More. DEM, le Parti de l’égalité et de la démocratie des peuples, a, en dépit des conditions extrêmement difficiles dans lesquelles il présentait ses candidats, regagné les 66 municipalités dont il avait été outrageusement dessaisi et en a gagné aussi 16 autres, soit un total de 82 municipalités. Il les a remportés seul ou dans le cadre d’une coalition locale comme à Toroslar (district de Mersin), par exemple ou à Esenyurt, le très peuplé district d’Istanbul qui en compte 39. DEM remporte l’élection de la mairie métropolitaine de Diyarbakir avec plus de 64%, et 13 districts sur 17. La domination écrasante du DEM dans le Bakur (sud-est de la Turquie) est ternie par les manœuvres et tricheries en tous genres imaginées par le pouvoir en place, comme le vote massif de militaires venus spécialement dans la région frontalière avec l’Irak, volant la victoire de la population locale à Şırnak, Beytüşşebap, Uludere, Çukurca, Şemdinli, autant de villes que les AKB connaissent bien. Des recours ont été déposés auprès du Haut Conseil électoral (YSK).
La Turquie à un tournant historique
Cette victoire ne doit pas cacher un avenir incertain : la Turquie est à un tournant historique, le pire n’est pas certain, mais toutes les hypothèses sont sur la table.
Erdoğan et son parti, l’AKPAdalet ve Kalkınma Partisi (Parti de la Justice et du Développement), parti islamiste aux mains de l’autocrate Erdogan. More, ont pris une « raclée ». La prestation du Président, au soir des élections, lui qui s’était beaucoup inverti dans la campagne, en disait long sur sa surprise : profil bas, dépité, K.O. debout, Erdoğan ne nous avait pas habitué à ça ! il a même prononcé ces paroles : « je respecterai la volonté du peuple ». Mais attention à ne pas l’enterrer trop vite ! Il a la main sur le Parlement, les médias, la justice, la police et l’armée !!! excusez du peu ! Et les prochaines échéances électorales sont …en 2028.
La victoire du CHPParti républicain du Peuple (Cumhuriyet Halk Partisi), parti kémaliste et nationaliste de centre-gauche. More (Parti républicain du peuple) est nette. Ce parti, créé en 1923 par Atatürk, qui se présente comme un parti républicain, social-démocrate, laïc, et… nationaliste, progresse, d’après l’agence de presse gouvernementale turque, l’Agence Anadolu, de près de 8 points par rapport au scrutin de la « présidentielle » de 2023 (37,8% au lieu de 30.1%) alors que l’AKPAdalet ve Kalkınma Partisi (Parti de la Justice et du Développement), parti islamiste aux mains de l’autocrate Erdogan. More recule de près de 9 points (35.5% au lieu de 44.3%).
Mais ces chiffres doivent aussi être tempérés par la montée inquiétante d’un ancien allié de l’AKPAdalet ve Kalkınma Partisi (Parti de la Justice et du Développement), parti islamiste aux mains de l’autocrate Erdogan. More qui, pour la première fois, fait cavalier seul : le YRP, le Nouveau parti de la prospérité (anciennement Refah). C’est un parti d’extrême- droite d’islamistes religieux radicaux. On peut penser que ce YRP a pris ses 6% en partie à l’AKPAdalet ve Kalkınma Partisi (Parti de la Justice et du Développement), parti islamiste aux mains de l’autocrate Erdogan. More et en partie au MHP (autre parti d’extrême droite tristement célèbre avec son groupe ultra-nationaliste ‘’les Loups gris’’) qui recule de 2.3%.
Dans ce contexte politique, quelle attitude de va adopter le CHPParti républicain du Peuple (Cumhuriyet Halk Partisi), parti kémaliste et nationaliste de centre-gauche. More qui doit sa victoire aussi aux voix kurdes ? Quelques signes laissent à penser que ce parti aurait peut-être tiré des leçons du passé. Ainsi Ekrem İmamoğlu, maire CHPParti républicain du Peuple (Cumhuriyet Halk Partisi), parti kémaliste et nationaliste de centre-gauche. More d’Istanbul et figure montante de ce parti, a fait des déclarations encourageantes qui ont pu peser sur le Haut Conseil électoral (YSK), quand ce dernier a rendu à Abdullah Zeydan le mandat de maire de Van qui lui avait été retiré par la commission électorale locale, après sa brillante élection : “Ne pas remettre son mandat au candidat du parti DEM élu maire de Van, c’est nier la volonté du peuple de Van. C’est inacceptable”, avait réagi Ekrem İmamoğlu. A noter que c’est la première fois que le Haut Conseil électoral (YSK), habituellement à la botte d’Erdoğan, arbitre en faveur d’une plainte déposée par DEM Parti, appuyée par une mobilisation massive des Kurdes. Que peut-on en déduire ? le Haut Conseil électoral (YSK) prendrait son indépendance par rapport au pouvoir ? nouvelle consigne d’Erdoğan ? Juste un petit signe pour calmer le jeu ? La réponse va arriver très vite avec les nombreux recours que le YSK va examiner. Le pire serait le retour à la case départ avec la destitution de maires kurdes brillement élus.
L’économie turque est au bord du gouffre
Une autre donnée, non négligeable, et peut-être déterminante, est l’économie si mal en point en Turquie qu’elle peut faire tout basculer à tout moment. La livre turque est en chute libre. Notre délégation, de retour de Turquie, l’a constatée. L’inflation a, en 2023, atteint 58,9 %, sur un an. Selon les économistes du Groupe de recherche sur l’inflation (Enag), la hausse des prix à la consommation s’élève à 128 % en glissement annuel. ‘’ Le chef de l’Etat turc, à rebours des théories économiques classiques, estime que les taux d’intérêt élevés favorisent l’inflation. La Turquie connaît une inflation à deux chiffres sans discontinuer depuis la fin de 2019, rendant le coût de la vie difficilement supportable pour de nombreuses familles’’. (Le Monde 23 septembre 2023). Erdoğan paie sans doute, lors de ce scrutin au plus près des populations, ses mauvais choix économiques. Et tout ça, dans un contexte international avec les élections européennes, la guerre en Ukraine, Gaza, la Syrie, Trump !!! La situation est complexe… de plus en plus. Restons mobilisés. Avec l’espoir d’un changement profond vers plus de démocratie. Le pire n’est jamais certain.
André Métayer