CDH : « Turquie : une nouvelle évaluation est nécessaire »

Le Conseil des droits de l’homme est un organe intergouvernemental des Nations Unies créé en 2006. Son rôle est de renforcer la promotion et la protection des droits de l’homme dans le monde. Composé de 47 États membres, il offre un forum multilatéral pour lutter contre les violations des droits de l’homme dans différents pays. Le CDH examine les situations d’urgence en matière de droits de l’homme et formule des recommandations pour les faire respecter sur le terrain. Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) est le secrétariat du CDH. Le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP) a présenté, le 11 juin 2024, lors de la 56° session qui se termine, un exposé écrit qui, tout en rappelant les différents rapports (2017, 2018) du HCDH, dénonce les pratiques répressives et antidémocratiques du gouvernement de Turquie, dont les formes perverses de torture dans les prisons turques.

André Métayer

Rapport du 10 mars 2017 du HCDH

« Dans le rapport publié le 10 mars 2017, le Haut-Commissaire aux Droits de l’Homme (HCDH) avait exprimé sa profonde préoccupation pour la détérioration considérable de la situation des droits humains dans le sud-est de la Türkiye. Le rapport notait l’utilisation de la législation antiterroriste pour démettre de leurs fonctions des représentants démocratiquement élus d’origine kurde, les restrictions sévères et le harcèlement des journalistes indépendants, la fermeture des médias indépendants et en langue kurde et des associations de citoyens, ainsi que les licenciements massifs de fonctionnaires pour des motifs peu clairs et sans respect des procédures. Dans un deuxième rapport, publié un an plus tard, le HCDH notait avec inquiétude que la détérioration de la situation des droits de l’homme au niveau national et le rétrécissement de l’espace politique et civique exigent des mesures immédiates pour que la Türkiye se conforme à ses obligations en vertu du droit international des droits de l’homme. »

Élections manipulées

« Ces dernières années, avant et après chaque élection, le gouvernement turc s’est engagé dans des pratiques répressives et antidémocratiques à l’encontre des travailleurs des médias, des artistes, des responsables politiques et des avocats. Ces pratiques ont pour effet d’étouffer la libre expression des groupes d’opposition. C’est dans les régions du sud-est du pays, à dominance kurde, que ces politiques répressives sont les plus répandues. Avant les élections législatives du 14 mai 2023, 128 personnes (journalistes, artistes, avocats, politiciens) ont été arrêtées. Une vague d’arrestations similaire a été observée avant et après les élections municipales du 31 mars 2024. De graves violations des droits humains ont été commises par les autorités turques au cours de ces périodes. Dans la zone géographique précitée des fortes pressions ont été exercées sur la population pour assurer la victoire des candidats du parti du président Erdoğan (AKP-MHP). Avant les élections, plusieurs membres et employés du “Parti du peuple pour l’égalité et la démocratie” (DEM) ont été détenus pour des motifs insignifiants, les empêchant ainsi d’organiser et de mener à bien la campagne électorale. Dans des communes comme Sirnak, Kars, Bitlis, où les votes exprimés pour le parti DEM et l’AKP-MHP étaient proches les uns des autres, des policiers et des soldats d’origine inconnue ont été transportés en civil et ont voté ensemble. Le candidat (coprésident du parti DEM) Abdullah Zeydan a remporté les élections à Van avec 55,48% des voix, tandis que le candidat de l’AKP, Abdullah Arvas, a obtenu 27,14%. Au motif qu’Abdullah Zeydan avait été arrêté, le candidat de l’AKP arrivé en deuxième position a été déclaré maire. Suite à des manifestations populaires, le Conseil électoral suprême est revenu sur sa décision et a accordé la victoire à Abdullah Zeydan. À cette occasion les forces de l’ordre turques ont fait preuve d’une violence disproportionnée. »

Formes perverses de torture dans les prisons turques

« Généralement les prisonniers kurdes sont envoyés dans des prisons situées à des centaines de kilomètres du domicile familial avant même la fin de leur procès; ils sont autorisés à assister aux audiences des tribunaux locaux par l’intermédiaire de caméras et ne sont pas amenés dans la salle d’audience. Selon des rapports d’organisations non gouvernementales telles que l’Association des droits de l’homme de Türkiye (IHD), la Fondation des droits de l’homme de Turquie (TIHV), l’Association de la Société Civile dans le Système Pénal (CISST) et l’Association des avocats pour la liberté (OHD), des détenus malades transférés dans les hôpitaux ont été soumis à des traitements dégradants. [D’autres] à des sanctions disciplinaires et placés dans des cellules d’isolement pour des raisons arbitraires. La commission pénitentiaire peut arbitrairement reporter la libération des prisonniers politiques.

L’une des formes les plus perverses de torture est l’isolement. Depuis le 24 mars 2021, on est sans nouvelles d’Abdullah Öcalan (transféré à la prison d’Imrali le 15 février 1999), ainsi que de Veysi Aktas, Mehmet Sait Yildirim et Omer Hayri Konar (transférés à la même prison en 2015).
Abdullah Öcalan et d’autres détenus, dont le dernier appel téléphonique a eu lieu le 24 mars 2024 sous la supervision du procureur, n’ont pas pu être contactés par leurs familles et leurs avocats pendant une longue période. Leurs avocats ont été empêchés pour des raisons inconsistantes de visiter les détenus depuis 2012. Le rapport de la dernière visite du Comité pour la prévention de la torture (CPT) du Conseil de l’Europe à la prison d’Imrali en septembre 2022 n’a pas été publié car la Türkiye n’a pas donné son accord ».

Recommandations

« Dans le contexte des pratiques répressives et racistes du gouvernement turc à l’encontre de la population kurde et des violations constantes des droits humains qui en découlent, le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP) invite le Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme à renouveler la visite en Türkiye et notamment dans le sud-est du pays et à la prison d’Imrali.
Le MRAP invite également :

  • le Rapporteur spécial sur la torture à assurer le suivi de la mission effectué par son prédécesseur en 2016, et de porter une attention particulière à la mise en œuvre par le gouvernement turc des recommandations alors formulées
  • le Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme à engager un dialogue avec le gouvernement turc afin de mettre fin à la politique raciste à l’égard du peuple kurde.
    Enfin, le MRAP invite le gouvernement turc à respecter les résultats des élections et à libérer immédiatement toute personne incarcérée en violation de la liberté d’opinion et d’expression, ainsi qu’à mettre en place un véritable mécanisme national de prévention indépendant, conformément aux dispositions du Protocole facultatif à la Convention contre la torture et à respecter les instruments internationaux qu’il a ratifiés concernant l’interdiction de l’usage de la torture ».