Le DEM Parti à la manœuvre, porteur du message d’Öcalan

Depuis qu’une délégation du DEM (Parti de l’égalité des peuples et de la démocratie) s’est entretenue avec Abdullah Öcalan, leader charismatique du PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan) dans la prison d’Imrali où il purge une condamnation à vie, les choses semblent bouger sous l’impulsion de ce parti pro-kurde, dont la tête pensante reste Selahattin Demirtaş, détenu dans les geôles turques depuis 2015 et condamné à 42 années d’emprisonnement. Lire notamment l’article du journal Agos consacré à cette rencontre (photo : de gauche à droite Sirri Süreya Önder (DEM, député), Özgür Özel (président du CHP), Ahmet Türk (DEM, ancien député, maire destitué de Mardin), Pervin Buldan (DEM, députée), Gökhan Günaydın (CHP) et Selin Sayek Böke (secrétaire générale du CHP)).

Le DEM Parti est à la manœuvre, porteur du message d’Abdullah Öcalan, homme-clef dans une possible négociation qui semble se préciser. Quel est le deal ? l’abandon de la lutte armée en échange d’un système fédéral et autonome.

Mustafa Karasu, un des leaders historiques du PKK, compagnon d’Abdullah Öcalan, membre du Conseil exécutif du KCK, considéré comme un ‘’dur’’ de Qandil, a déclaré soutenir les efforts d’Ocalan pour arriver, par la négociation, à une solution politique de la question kurde, mettant néanmoins en garde l’opinion concernant la fourberie historique des Turcs : ‘’l’objectif est d’assurer une transformation démocratique en Turquie.’’ Pas question pour l’instant de relâcher la lutte. Des signes sont attendus comme la levée des mesures d’isolement qui frappent Abdullah Öcalan.

Rencontre DEM – CHP

Une délégation du DEM Parti, composée d’Ahmet Türk, ancien député, maire destitué de Mardin et des députés Sirri Sureya Onder et Pervin Buldan a rencontré une délégation du CHP (Parti républicain du Peuple, principal parti d’opposition à la Grande Assemblée de Turquie, 128 députés) composée d’Özgür Özel, président, Selin Sayek Böke, secrétaire générale, Gökhan Günaydın, vice-président du groupe. La réunion, qui a duré près de deux heures, s’est tenue à huis clos, à l’issue de laquelle, s’adressant aux journalistes, Özgür Özel a déclaré :

en tant que CHP, nous contribuerons à toutes sortes de mesures à prendre afin d’éliminer un problème qui dure depuis 50 ans en Turquie, de soulager les larmes des mères, de ne pas être ébranlés par nos nouveaux martyrs et de ne pas subir de nouvelles pertes.

Rencontres DEM – DEVA, DEM – YRP, DEM – AKP, DEM – MHP

Cette même délégation de DEM Parti s’est également entretenue avec Ali Babacan, président fondateur du parti DEVA, accompagné de son vice-président İbrahim Çanakçı et d’autres cadres du parti, dont Mehmet Emin Ekmen et Sadullah Ergin. DEVA (Parti de la Démocratie et du Progrès), représenté à Grande Assemblée nationale de Turquie par 15 députés, est né d’une scission de l’AKP en 2020. Ali Babacan avait été, entre autres responsabilités avant de quitter l’AKP, vice-premier ministre en 2014/2015 dans le gouvernement Davutoğlu. Il a souligné, à l’issue de l’entretien, l’importance des efforts pour une solution durable :

depuis le 1er octobre, un nouveau climat s’est instauré. Nous soutenons toutes les démarches sincères dans ce processus. Cependant, il est essentiel de clarifier la position du président Erdoğan.

De son côté, Sırrı Süreyya Önder a indiqué :

nous avons discuté de questions cruciales et recueilli des avis précieux. C’est en prenant en compte ces suggestions que nous pourrons établir une base de réconciliation.

Après sa rencontre avec le Parti DEVA, la délégation s’est rendue au Parlement pour rencontrer le YRP (Yeniden Refah, petit parti politique islamiste turc de 5 députés).

Le DEM Parti s’est également entretenu avec Numan Kurtulmuş (AKP, 266 députés) président de la Grande Assemblée de Turquie (parlement turc) et avec Devlet Bahceli, secrétaire général du MHP (parti d’extrême droite, 50 députés), l’un des membres fondateurs des Foyers idéalistes (Loups gris). Au cours des visites, il y eu consensus, semble-t-il, sur le fait que ce nouveau processus devait être mené avec beaucoup de prudence et que le parti au pouvoir devait faire preuve de transparence dans les discussions.

Y aura-t-il d’autres rencontres ? Le DEM poursuit ses rencontres avec les partis politiques. Il est fort probable qu’une délégation se rende très prochainement au Rojava pour s’entretenir avec les FDS (Forces démocratiques syriennes) mais peut-être aussi avec le gouvernement provisoire syrien.

Le contexte est-il favorable pour une négociation ? On peut le penser mais c’est encore trop tôt pour le dire

Une source amie et en général bien informée l’assure :

la précipitation des Turcs à engager des pourparlers n’est que l’expression de leur panique, Les Kurdes se trouvent à présent en position de force, surtout en Syrie. Les Kurdes de Syrie, bien armés et bien formés, qui contrôlent près de la moitié de la Syrie, ont un ferme soutien de l’Occident. Certains hommes clés de la nouvelle administration américaine ont même proposé que les Forces démocratiques syriennes contrôlent les régions alaouites et territoires d’autres minorités ethniques et religieuses. Le pouvoir actuel en Syrie est salafiste, j’en veux pour preuve les sept ministres désignés récemment qui ont un passé djihadiste au même titre que l’homme fort du régime actuel, al-Joulani, issu du Front Al-Nosra, rebaptisé Hayat Tahrir Al-Cham (HTS) la variante syrienne d’Al-Qaïda.

Après avoir salué, avec soulagement, la chute du régime de Bachar al-Assad, découvert ses turpitudes et l’horreur de ses prisons, après avoir salué le nouveau gouvernement comme un libérateur, l’opinion commence à se rendre compte que le nouveau pouvoir est inquiétant : les salafistes ne rêvent-ils pas d’un grand État islamique régi par la charia ? Certains flirtent avec Al-Qaïda. Ils ne sont pas qu’en Syrie. Leur influence grandit en Libye et en Tunisie. En refusant de serrer la main à Annalena Baerbock, la ministre allemande des Affaires étrangères – parce que femme – lors d’une visite officielle organisée à Damas, le dirigeant syrien Ahmad al-Chareh, alias al-Joulani, a décillé les yeux de nombre observateurs incrédules.

« Nous ne faisons pas de chèque en blanc au nouveau régime syrien » a déclaré Jean-Noël Barrot, ministre des Affaires étrangères, de retour de Damas, « nous jugerons les autorités de transition syriennes sur les actes. » Et une dépêche de l’AFP rapporte les propos du Président Macron : « la France restera fidèle aux combattants de la liberté, y compris les Kurdes, qui affrontent le terrorisme et en particulier les mercenaires de l’EI. » La perspective d’un changement de régime en Syrie doit être abordée avec prudence, poursuit le Président en précisant la position de la France : « elle apportera un soutien soutenu à un processus de transition visant à établir une Syrie souveraine et libre qui respecte sa diversité ethnique, politique et religieuse. »

« Les Turcs se méfient des Kurdes syriens » poursuit notre source amie :

ils ont bien essayé, juste après la chute de Bachar al-Assad, d’envahir le Rojava avec leurs supplétifs djihadistes, mais ils ont vite déchanté en voyant la réaction déterminée des Occidentaux et la lutte acharnée des Kurdes. Il semble que la coalition internationale soit décidée à protéger la ville martyre de Kobané. De plus, le pouvoir du président Erdoğan est fragilisé : son économie s’enlise jour après jour et le mécontentement du peuple va crescendo ; l’électorat kurde votant AKP n’est pas négligeable et un engagement actif de la Turquie contre les Kurdes de Syrie pourrait lui nuire électoralement parlant. Les déclarations de membres du gouvernement israélien appelant à aider les Kurdes le font frémir aussi. Il se dit peut-être que l’heure est venue de négocier avec les Kurdes. L’exemple de la Syrie, pays naguère centralisé et unitaire, aujourd’hui démembré et impossible à réunir, à l’image de la Libye, doit le faire réfléchir.

Pour autant la guerre continue et ne faiblit pas. D’après l’Observatoire syrien des Droits de l’Homme (SOHR),

les forces salafistes de l’armée nationale syrienne concentrent des unités pour s’emparer du barrage de Tishrîn. Les forces kurdes au moyen des drones, surtout, se défendent en leur affligeant de lourdes pertes.

Rojinfo note :

l’État turc et ses milices djihadistes ont de nouveau bombardé le barrage de Tishrîn. Ce barrage d’importance stratégique, qui fournit de l’électricité à la région, risque de céder à cause des attaques. L’État turc et ses proxys djihadistes de l’Armée nationale syrienne (ANS) ont également attaqué des zones situées au nord du barrage. Les combattants du Conseil militaire de Manbij ont riposté à ces attaques. De violents affrontements sont signalés.

La paix est encore loin, mais les négociations en cours avancent très vite. Positivement ou négativement ? Nous le saurons dans un avenir proche.

André Métayer