Les maires de Diyarbakir et de Hakkari particulièrement visés
Ce ne sont pas de dangereux terroristes qui ont posé des bombes ou commandité des attentats suicides, mais 56 maires kurdes, du principal parti pro kurde, le Parti pour une Société Démocratique (D.T.P.), élus pour la plupart à une écrasante majorité et adeptes déclarés d’une démocratie locale participative dans une région qui soutient globalement ceux qui luttent pour la reconnaissance de leur identité et pour la liberté d’expression, qu’elle soit culturelle ou politique.
56 “seigneurs de la paix” pour reprendre le titre du dernier ouvrage de l’écrivain journaliste breton, Roger Faligot. “Grâce à eux, la guerre recule” : cette phrase ornant la jaquette du livre pourrait s’appliquer à ces maires militants de la liberté et de la paix.
56 maires qui sont traduits aujourd’hui devant la justice pour avoir défendu ROJ TV, chaîne de télévision kurde qui émet depuis Copenhague.
ROJ TV, dans ce contexte, est plus qu’une chaîne de télévision kurde en exil, c’est véritablement un symbole de ce combat engagé avec des moyens politiques et pacifiques : malgré les pressions turques et américaines, l’instance danoise de surveillance de l’audiovisuel a estimé que les programmes ne contenaient pas d’incitation à la haine, alors que le gouvernement turc, lui, affirme le contraire au motif que ROJ TV soutiendrait une organisation “terroriste”.
Les 56 maires ont signé une lettre collective exhortant les autorités danoises à résister aux demandes de fermeture de la chaîne et, aujourd’hui, devant le tribunal, ils signent et persistent.
Deux d’entre eux sont particulièrement visés : les maires de Diyarbakir et de Hakkari.
Osman Baydemir, avocat, maire de Diyarbakir et président de l’Union des maires du Sud est anatolien (G.A.B.B.) qui fut, auparavant, président de la section régionale de Diyarbakir de l’association turque de défense des droits de l’homme, I.H.D., affiliée à la F.I.D.H., est la “bête noire” du régime : Il encourt, dans un autre procès intenté contre lui, 10 ans de prison au motif qu’il aurait fait l’éloge du P.K.K. et de la guérilla après les émeutes de Diyarbakir, en mai dernier, alors que son rôle de modérateur a été remarqué par tous les observateurs. On ne compte plus les menaces de mort dont il est l’objet mais son aura à l’étranger et dans la population le protège pour l’instant : le New Anatolian le considère, après son voyage aux Etats Unis, comme un interlocuteur “têtu” mais respecté.
Metin Tekçe, maire de Hakkari, cette “capitale” d’une province montagneuse, à l’extrémité de la Turquie, aux frontières de l’Iran et de l’Irak, qui se trouve, géographiquement et politiquement, au centre de la question kurde, est lui aussi “dans le collimateur” après l’affaire de Semdinli où des éléments des forces militaires turques ont été pris, “la main dans le sac”, à commettre un attentat meurtrier qui fit plusieurs victimes.
Metin Tekçe, répondant à une question de la commission d’enquête, aurait déclaré :
à votre question, je réponds que le Parti des ouvriers du Kurdistan (PKKPartiya Karkerên Kurdistan, Parti des Travailleurs du Kurdistan, fondé en 1978. More) n’est pas une organisation terroriste. C’est juste une organisation qui défend les droits de ceux qui travaillent pour une solution pacifique au problème kurde et il aurait ajouté :
je ne suis pas fier de ma turquitude. Je suis un citoyen de la Turquie et fier de l’être, mais pas de ma turquitude parce que je ne suis pas turc. Je suis kurde, comme d’autres sont lazes ou grecs et qui sont aussi citoyens turcs, faisant également partie du peuple de la Turquie. Je suis fier d’être un citoyen de la Turquie.
Metin Tekçe était venu en Bretagne, en décembre dernier, défendre un projet de centre municipal de soins et d’éducation pour les femmes, notamment “les exilées de l’intérieur” et avait été reçu par Christian Guyonvarc’h, Vice Président du Conseil Régional de Bretagne, Edmond Hervé, maire de Rennes, François Cuillandre, maire de Brest, Yolande Boyer, sénatrice –maire de Châteaulin et Monique Prévost, maire de Douarnenez.
Aujourd’hui il déclare craindre pour sa sécurité après une démonstration de force des militaires turcs dans sa ville et la provocation du chef d’Etat major, Ilker Basbug qui a déclaré :
dans la ville de Hakkari se trouvent certains microbes qui doivent être nettoyés.
Ce procès est donc emblématique dans un contexte particulièrement agité et complexe.
L’armée turque défie l’Union Européenne qui lui reproche de s’immiscer dans la vie politique du pays mais n’est pas désavoué par le gouvernement turc qui, dit-on, voudrait se démarquer des faucons qui se trouvent à la tête de l’Etat major des armées, mais qui, une fois de plus, rejette l’appel à la trêve lancé par Abdullah Öcalan, leader incontournable du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKKPartiya Karkerên Kurdistan, Parti des Travailleurs du Kurdistan, fondé en 1978. More).
Le Conseil exécutif du KKK (Confédération Démocratique du Kurdistan) réunissant les forces armées et politiques en assemblée générale, a, lors d’une longue déclaration solennelle, décréter le cessez-le-feu à compter du 1° octobre 2006.
Ce cessez le feu négocié sans doute avec le président irakien Jalal Talabani, d’origine kurde, lors de contacts avec le PKKPartiya Karkerên Kurdistan, Parti des Travailleurs du Kurdistan, fondé en 1978. More, était attendu par la population kurde et ses représentants, le Parti pour une société Démocratique qui s’est réjoui de l’appel à une trêve, exhortant, en vain, Ankara à ne pas l’ignorer et à saisir, pour l’arrêt du conflit armé, cette opportunité qui a l’aval des diplomaties américaine et européenne.
Le parlement européen, dans son rapport adopté le 27 septembre, tacle sévèrement ce gouvernement qui plonge la Turquie, candidate à l’adhésion à l’Union Européenne, dans l’impasse politique : à un an de l’élection présidentielle, aucune mesure pour sortir du conflit n’est inscrit dans son agenda.
Le texte adopté estime, par exemple, que les progrès accomplis en matière de liberté d’expression restent loin d’être satisfaisants et que la loi turque anti-terreur récemment adoptée est en particulier contraire à l’avis du rapporteur spécial sur le terrorisme du Conseil des droits de l’homme des Nations unies et sape les réformes antérieures en matière de libertés fondamentales et de droits de la personne. Il invite également la Turquie à abaisser le seuil de représentativité à la Grande Assemblée (Parlement turc) afin de permettre une représentation des minorités. Sur la question kurde proprement dite le rapport exprime la profonde préoccupation du parlement européen en ce qui concerne l’affaire Semdinli, se félicite de l’appel lancé récemment par le DTP (Parti pro kurde auquel appartiennent, rappelons-le, les 56 accusés) en faveur d’un cessez-le-feu et de négociations politiques en ce qui concerne le conflit dans le sud-est, et demande au PKKPartiya Karkerên Kurdistan, Parti des Travailleurs du Kurdistan, fondé en 1978. More d’y répondre favorablement. Il demande au gouvernement turc de rechercher une solution démocratique à la question kurde, de procéder à des investissements en faveur du développement socio-économique du sud-est et d’engager un dialogue constructif avec les interlocuteurs pacifiques.
Dans le même temps, des bruits de bottes et une forte odeur de pétrole venant de Kirkouk, au Kurdistan irakien, inquiètent.
Une délégation de députés turcs, en visite dans cette ville, a exprimé mardi, note une dépêche de l’AFP, son soutien à la minorité turkmène d’Irak et mis en garde les Kurdes contre leurs visées sur la riche région pétrolière de Kirkouk :
La Turquie est désireuse de préserver l’intégrité de l’Irak, mais il est de notre droit, en tant que pays voisin, d’avoir une présence en Irak, tout comme les Américains sont présents,
a déclaré Turhan Comez au cours d’une conférence de presse. Cette visite des députés turcs intervient deux jours après l’ouverture, au parlement autonome kurde, du débat sur un projet de constitution kurde qui revendique la riche région pétrolière de Kirkouk.
D’un autre côté, Nechirvan Barzani, Premier ministre de la région kurde autonome d’Irak, a affirmé que les Kurdes s’opposeront avec détermination à toute tentative de les priver du droit de développer leur propre industrie pétrolière et a averti que toute ingérence extérieure dans ces affaires ne pourra que raviver les appels à l’indépendance du Kurdistan.
Le parlement autonome kurde a entamé dimanche la lecture d’un projet de constitution kurde dans lequel il revendique notamment la riche région pétrolière de Kirkouk, et s’octroie le droit à l’autodétermination s’il la jugeait justifiée.
Comme on le voit, les grandes manœuvres semblent être commencées et il est temps pour la diplomatie européenne et américaine de trouver une solution politique et pacifique avec les puissances régionales et les représentants des Kurdes vivant en Turquie mais aussi en Irak et en Iran, sous peine de voir s’embraser cette partie moyen orientale du monde.
Dans l’immédiat il faut éviter l’irréparable et arrêter cette parodie de justice qui se déroule à Diyarbakir.
Les Amitiés kurdes de Bretagne lancent un appel à tous les démocrates, et notamment aux élus locaux et nationaux pour qu’ils manifestent leur réprobation auprès des instances politiques turques et interviennent auprès de l’Union Européenne et du gouvernement français pour leur demander de prendre les initiatives appropriées à la défense de ces 56 maires injustement poursuivis.
Les élus, les avocats, les journalistes, les militants des droits humains sont invités à se relayer pour assister aux audiences qui vont se dérouler à Diyarbakir, durant les mois à venir.
Une première délégation va s’envoler pour assister à la séance du 3 octobre prochain.