“L’espace des libertés progresse” avait déclaré sans rire le président Sarkozy lors de sa visite en Tunisie en avril 2008, à l’invitation de l’ex-président Ben Ali : on peut donc se demander pourquoi, au même moment, la secrétaire d’Etat aux Droits de l’Homme Rama Yade n’avait pas été autorisée à rencontrer l’association des femmes tunisiennes !
La complaisance dont ont fait preuve dirigeants français, ambassadeurs et hommes d’affaires, “qui sont nombreux à avoir des résidences secondaires en Tunisie” comme le rappelle le New York Times, est aujourd’hui dénoncée unanimement par les médias qui, jusqu’alors – ne l’oublions pas – avaient été bien timorés pour relayer les appels au secours des défenseurs des Droits de l’Homme et des victimes de la répression d’une dictature insupportable et “univoque” (n’en déplaise au Ministre de la Culture !).
Aujourd’hui donc, la presse, dont le retournement est aussi spectaculaire qu’opportuniste, court derrière cette révolution tunisienne et loue cette population éduquée, exaspérée par les injustices et l’oppression, qu’elle semble découvrir.
Pourtant 900 000 touristes français passent chaque année leurs vacances en Tunisie, 600 000 tunisiens et franco tunisiens vivent en France, 25 000 expatriés français travaillent en Tunisie et la Tunisie fait partie des pays de la francophonie!
Cette révolte n’est pas le fruit du hasard, c’est la victoire de la rue contre un parti au pouvoir, répressif, affairiste et corrompu, c’est la victoire d’internet face à la presse “politiquement correcte” et discréditée ; c’est la victoire d’une jeunesse qui entend aujourd’hui à ne pas se faire voler sa victoire.
L’onde de choc tunisienne va-t-elle se propager jusqu’en Turquie ?
Pour l’instant ni nos dirigeants, ni la presse, ne semblent tirer des enseignements de ce qu’il faut bien appeler un fiasco diplomatique et médiatique :
en règle générale, les gouvernements français ont défendu la stabilité politique pour protéger les citoyens français, les entreprises et leurs intérêts économiques, écrit Steven Erlanger, correspondant à Paris du New York Times, ils ne formulent que très peu de critiques publiques à l’égard des dictateurs.
Bien au contraire, pouvons-nous ajouter ! La déclaration de la Ministre des Affaires Etrangères proposant à Ben Ali l’aide de la France en matière de répression ne nous surprend pas quand on sait que justice et police françaises collaborent avec les services secrets turcs au nom de la lutte anti-terroriste. En Turquie, comme en Tunisie hier, les adversaires du pouvoir sont considérés comme des “terroristes” ; l’un des premiers gestes du nouveau gouvernement tunisien aura été de libérer les 1 800 détenus politiques, alors qu’en Turquie se poursuit, dans l’indifférence générale de la presse française et de la classe politique, le procès de toute une élite kurde accusée de séparatisme et d’atteinte à la sûreté de l’Etat : depuis avril 2009, la Turquie a procédé à plus de 2 000 interpellations et incarcérations de cadres et élus politiques et associatifs, y compris parmi les membre des associations de défense des Droits de l’Homme ; 43 journalistes sont également détenus[[43 journalistes – dont dix rédacteurs en chef – et écrivains ont passé le nouvel an en prison, 655 personnes dont 197 journalistes ont été jugés au cours des neuf premiers mois de 2010, 12 journaux suspendus et 7 000 sites internet bloqués (contre 3 700 en 2009) – source : Reporters sans Frontières.]] ; des enfants et des jeunes le sont aussi pour avoir jeté des pierres sur des véhicules blindés[[Plus de 2 500 mineurs étaient détenus fin 2009 en Turquie selon Thomas Hammarberg, Commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe.]]. 151 personnalités, dont 40 femmes, sont actuellement jugées par la VIème Haute Cour criminelle de Diyarbakir. Les peines requises vont de 15 ans à la prison à vie.
André Métayer