Gérard Chaliand, né le 18 février 1934 à Bruxelles, diplômé de l’Institut national des langues et civilisations orientales et docteur en sciences politiques, est un géostratège, spécialiste de l’étude des conflits armés et des relations internationales et stratégiques. Les conflits irréguliers (guérilla, terrorisme), c’est sa spécialité. Ecrivain, historien, poète, traducteur, maître de conférence à l’ENA, enseignant à l’École supérieure de guerre, il fut également directeur du Centre européen d’étude des conflits. Conseiller auprès du Centre d’analyse et de prévision du ministère des Affaires étrangères français, il intervient aussi ponctuellement dans de nombreuses universités, notamment aux États-Unis. Gérard Chaliand avait été, en 2003, l’un des invités du festival de cinéma de Douarnenez, dont le thème était cette année-là le Kurdistan. Il était invité d’Étonnants Voyageurs (festival international du livre et du film de Saint-Malo) en juin 2011 pour la présentation et la vente-signature de son livre “La pointe du couteau – mémoires – tome 1” sorti aux éditions Robert Laffont au premier trimestre de cette année.
Une guérilla doit se fondre dans le corps social
Gérard Chaliand est avant tout un homme libre : “avant de devenir un privilège, la liberté est un choix, une exigence et un combat” écrit-il dans ses mémoires. Très jeune, il s’est juré de vivre libre et de parcourir le monde. Il est sur tous les terrains où se développent des luttes armées de libération. Il s’engage dans un réseau de soutien au FLN (Algérie), part dans les maquis de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert, au côté d’Amilcar Cabral. on le retrouve au coeur du Vietnam en guerre, en Colombie avec les FARC, dans les camps palestiniens, en Érythrée, en Afghanistan, “sans filet sur trois continents”. “En principe, je suis observateur participant. Je ne me bats pas, mais si je suis encerclé, je ne me laisse pas canarder !” précise-t-il dans ses mémoires. Il est surtout armé d’un crayon et d’un calepin. Il publie des enquêtes de terrain, des ouvrages politiques, historiques, poétiques, des précis de stratégie militaire, des atlas… Il préfère “le travail politique qui consiste à essayer de modifier une situation, à l’action humanitaire”. Sa réflexion sur la guérilla, la “guerre asymétrique”, s’appuie sur son expérience de terrain : “pour l’emporter, une guérilla doit se fondre dans le corps social”. La clé de la victoire réside, pour G. Chaliand, dans l’articulation entre les aspects militaires et le terrain sociopolitique. Même si les victoires obtenues par les guérilleros n’ont pas été toujours celles de la démocratie, il n’en conclut pas moins que, “face à l’occupation étrangère ou à l’oppression, la lutte armée reste politiquement payante”.
La vie d’un aventurier n’est pas sans aventures
La vie de G. Chaliand est celle d’un aventurier dans laquelle les aventures sentimentales et amoureuses ne sont pas exclues. Ce géant qui sait, sans états d’âme excessifs, disséquer au scalpel les mécaniques conflictuelles, a un cœur d’artichaut quand, par exemple, au détour d’un chemin, il rencontre “une Érythréenne d’une foudroyante beauté”, ou encore, quand à l’aéroport de la Paz, il avise “une jolie femme portant son bras en écharpe”, quand ce n’est pas une péruvienne “très belle”, rencontrée à Québec à qui il fit “une cour directe”. Il s’en défend mollement : “on serait en droit de penser que les femmes occupent une place considérable dans ma vie. C’est vrai et faux… A l’échelle d’une vie, Casanova, comme tous les aventuriers, a connu davantage de nuits solitaires que d’amours partagés”.
Les Capverdiens et les Kurdes
“De ma vie, de toutes les luttes auxquelles j’ai participé ou que j’ai soutenues, les seuls à se souvenir des camarades de la première heure ont été les Capverdiens et les Kurdes”. (G. Chaliand).
Ceux qui s’intéressent à la question kurde liront ou reliront “Les Kurdes et le Kurdistan” (Maspero 1977, 1981), “Le malheur kurde” (Seuil 1992), “Anthologie de la poésie populaire kurde” (l’Aube, 1997). G. Chaliand a aussi écrit en 1992 un rapport sur les Kurdes à la sous commission aux Droits de l’Homme des Nations-unies, ce qui lui vaudra d’être persona non grata en Turquie.
Peu de pages sont consacrées “aux Kurdes et leurs combats” dans ce tome 1 des mémoires qui s’arrêtent à l’année 1977. On attendra le tome 2 pour mieux connaître l’analyse sur le conflit kurde en Turquie de ce polémologue qui porte une attention particulière sur les maquis de Guinée-Bissau et du Cap-vert et manifeste de la considération affectueuse pour son chef capverdien, Amilcar Cabral, assassiné en 1973 avant la victoire de l’indépendance, en 1974 pour la Guinée-Bissau et en 1975 pour le Cap-Vert.
Amilcar Cabral fut un dirigeant politique remarquable, “l’un des rares africains du XX° siècle qui se soit hissé au rang des grands dirigeants du monde contemporain” nous confie G. Chaliand.
Amilcar Cabral
Amilcar Cabral avait une idée claire de la lutte armée et de ses difficultés :
La lutte armée est très importante, mais le plus important c’est d’avoir conscience de la situation de notre peuple. Notre peuple appuie la lutte armée mais nous devons lui donner l’assurance que ceux qui ont les armes à la main sont les fils du peuple et que l’arme n’a pas de supériorité sur l’outil de travail… Notre lutte n’est vraiment utile que si nous respectons le peuple et que nous lui ouvrons le chemin pour que les petites filles, comme nos infirmières, ici, soient éduquées et respectées. […] On peut recevoir des médicaments, des armes, mais nul ne peut nous envoyer du courage. Ça, c’est notre affaire. C’est grâce au courage que nous avons commencé la lutte, mais il en faut encore plus pour vaincre. Demain, nos fils seront fiers d’être libres, mais aussi des bases nouvelles que nous avons créées
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Amilcar Cabral a beaucoup compté pour Gérard Chaliand, que le président de la République du Cap-Vert a honoré en lui remettant la plus haute distinction de son pays, la médaille “Amilcar Cabral”. C’est la seule décoration que ce “loup solitaire” a accepté de recevoir.
André Métayer