La délégation des Amitiés kurdes de Bretagne vient de rentrer du Kurdistan et livre ses premières impressions.
“Nous revenons en France avec des informations de terrain qu’il nous faudra restituer. Globalement, la délégation observe que la situation au Kurdistan s’est dégradée depuis un an. Les rendez-vous ont permis pour les uns de mieux appréhender la question kurde, pour les autres d’approfondir leurs connaissances. Les différents projets portés par la délégation, avec des objectifs plus concrets à caractère sanitaire, social et/ou culturel, permettent d’obtenir des réponses plus évidentes. Leur lien avéré avec l’action politique du BDP les rend d’autant plus légitimes.” (Franck)
Dans l’attente d’un développement ultérieur tant sur la situation politique au Kurdistan que sur la finalisation des projets de coopération, il a été demandé à chacun de livrer sa première impression : quel fut, pour toi, personnellement le temps fort de ce voyage?
“Le temps fort. Il en a de bonnes, André : « LE » temps fort ! Comme s’il n’y en avait eu qu’un ! Déterminants, les premiers pas à Ben U Sen. Édifiante, l’audience au procès KCKUnion des Communautés du Kurdistan (Koma Civakên Kurdistan), fédération des organisations kurdes en Turquie. More. Magnifique, la dignité des mères du samedi. Lumineux, le sourire des filles d’Hakkari. Aussi les entretiens, bien-sûr, mais tu sais comment sont les photographes : toujours à regarder par la fenêtre, au lieu d’écouter le prof. Nous on n’a pas la cervelle entre les oreilles, mais derrière les yeux”. (François)
“Si je dois choisir, je dirais l’émotion ressenti devant la nature kurde au sens propre et au sens figuré. Les montagnes et les hommes. Why the kurdish people is not free? Why? Lance Mehmet, ce vieil homme rencontré au siège du BDP à Hakkari. Pourquoi le peuple kurde n’est-il pas libre ? Pourquoi? Pourquoi le gouvernement turc en place continue-t-il à martyriser ‘ses’ – ces – enfants?” (Laetitia)
Ce fut d’abord le choc
“Pour ma seconde mission avec les AKB, je reviens toujours aussi bouleversé par ce que j’ai vu et entendu” (Thierry).
” Quatre longues années que je ne suis pas retournée sur mes terres à Dersim. Ma première fois dans cette région du Kurdistan turc. Émotions très fortes ! Partagée entre joie de retrouver mes racines et déchirure de voir mon peuple sous les bombes, désormais je ne souhaite pas soutenir de l’extérieur mais prendre part dans cette lutte pour la vérité. Nous avons partagé des moments très forts pendant lesquels nous étions en admiration devant le courage et le dévouement de ces femmes et hommes, et pendant lesquels nous nous sommes sentis tout petit (Nuray).
“C’était pour moi une première expérience de ce type dans cette région de ce monde. Je pensais que j’étais informé, éclairé et en partie préparé…” (Franck)
“La présence des élus sur le terrain est très importante. L’intervention de Selahattin Demirtas m’a beaucoup touchée au parc des “statues”, en plein soleil.” (Laetitia) La délégation a rencontré, le co-président du BDP député de Hakkari, lors de la manifestation des “mères du samedi ” [à Diyarbakir :
“Après ces 10 jours de vie aux côtés et face à ces femmes et à ces hommes politiques, défenseurs des droits humains, avocats, enfants, pauvres parmi les pauvres, de parents qui ont fui leurs villages détruits par l’armée, femmes et hommes ordinaires …ou plutôt extraordinaires car ils [elles] luttent sans relâche au quotidien, jour et nuit. Je suis envahie de gratitude, de reconnaissance pour leur sourire, la lumière qu’ils [elles] ont dans les yeux, leur beauté.” (Josette). Et de citer jean Paul Sartre en pensant à eux : “Un homme est toujours au-delà de ce qu’il fait.”
La route de Diyarbakir à Hakkari passe par Roboski
La route de Diyarbakir à Hakkari passe pour la délégation par Siirt et Ortasu (Roboski en kurde). Personne n’a oublié l’acte délibéré de l’aviation turque faisant 34 morts parmi les habitants de Roboski, en majorité des enfants.
“Il y a des cris sourds qui résonnent encore dans ma tête et puis surtout des couleurs inoubliables. Celles des tombes des enfants et jeunes hommes de Roboski. Ces couleurs dépeignent pour moi la force que trouve le peuple kurde dans les pires situations pour embellir et sublimer sa souffrance . cette force, il la puise à la source de son identité.” (Laetitia).
“Une image bouleversante, celle de ces hommes de Siirt, posant avec beaucoup de dignité et d’émotion devant la photo du massacre de Roboski. Je me suis senti vraiment très petit, face à ces hommes.” (Franck).
“Un temps fort ? D’abord à Siirt, avec les hommes du BDP, encore plus émus que nous, posant devant une photo géante du massacre de Roboski. Puis, quelques heures plus tard, dans le cimetière du village, où reposent les victimes : on entendait, pas très loin, les détonations sourdes de tirs de mortiers qui semblaient dire, menaçant : ‘d’autres les rejoindront bientôt’. Il n’y avait pas de fenêtre, mais j’ai quand même regardé ailleurs, vers les sommets enneigés, pensant : ‘d’autres rejoindront bientôt la montagne’. On n’est pas tirés d’affaire.” (François)
“Même ce cimetière de Roboski où sont enterrés ces civils innocents dont beaucoup de jeunes et d’enfants victimes de l’intention sanguinaire et délibérée de l’armée turque, même ce cimetière avait les couleurs joyeuses du carnaval. Nos cœurs étaient lourds, nos larmes coulaient et eux-elles avaient coloré leur tristesse, leur douleur, comme pour montrer au monde du haut de cette colline que leur résistance, leur détermination ont les couleurs de l’Espoir. Merci à elles, merci à eux.” (Josette).
“Autre temps fort, l’hommage aux jeunes victimes de Roboski. C’est dans un grand silence que nous accédons au cimetière. Moments très durs au milieu de ces tombes fleuries aux couleurs du Kurdistan où l’émotion est décuplée quand mon regard croise la photo d’un défunt accrochée à un jeune arbre planté sur sa tombe. Et, pour alourdir encore plus l’atmosphère, des chars tirent au canon à proximité.” (Thierry).
Propos recueillis par André Métayer