Qu’en termes bien choisis ces choses là sont dites ! Mais l’élégance ne change rien, sur le fond, au message que le très courtois ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé, adresse le 7 décembre 2011 à Michelle Demessine, sénatrice communiste, ancienne ministre du gouvernement Jospin (souvenez-vous : “le label “Tourisme et Handicap”, c’est elle !) en réponse à son courrier du 18 octobre 2011.
Michelle Demessine attirait l’attention de M. Juppé sur la situation du peuple kurde victime d’une répression “de grande ampleur” qui s’abat en premier lieu sur des élus de la République de Turquie du groupe BDP, parti (pro kurde) pour la Paix et la Démocratie, au moment où le Parlement turc autorise parallèlement son armée à poursuivre les raids aériens contre les rebelles kurdes sur le territoire irakien. Apparemment M. Juppé ne trouve rien à redire sur ce dernier point – la violation de la frontière irakienne – car il n’en dit mot.
Par contre il développe, en termes très consensuels, l’attachement profond de la France tant au respect de la liberté d’expression des mouvements politiques qui respectent la légalité que, plus généralement, à la défense des Droits de l’Homme et note que sur ce point la Commission européenne se montre très critique à l’endroit de la Turquie et que la diplomatie française invite les autorités turques à intensifier leurs efforts pour le renforcement des libertés individuelles et la consolidation de l’État de droit.
Mais l’ancienne ministre communiste se fait plus insistante :
Alors que la Turquie est entrée dans un processus légitime d’adhésion à l’Union Européenne, j’appelle donc de mes vœux, Monsieur le Ministre, que la France sorte de son silence pour dénoncer les arrestations arbitraires en cours dans ce pays, pour rappeler aux autorités turques ses responsabilités en matière de libertés et de droits humain, et pour condamner sans réserve le recours à la force contre les populations civiles.
Il n’en est pas question répond en substance, notre ministre d’État, n° 2 du gouvernement français qui approuve pleinement la politique de RT Erdogan :
La question des minorités demeure l’une des priorités de l’agenda du gouvernement turc, dans le cadre du “projet d’Union nationale et de Fraternité” que le parti au pouvoir (AKPAdalet ve Kalkınma Partisi (Parti de la Justice et du Développement), parti islamiste aux mains de l’autocrate Erdogan. More) ambitionne de conduire. La France suit avec intérêt et attention l’application de ce projet par le gouvernement turc, notamment aux populations d’origine kurde.
Et qu’en est-il des arrestations d’élus ?
Il reste toutefois évident, et indispensable, que les représentants élus des populations d’origine kurde, pour demeurer des interlocuteurs crédibles dans la recherche d’une solution pacifique et durable de la question kurde, doivent conserver clairement leurs distances avec la violence du PKKPartiya Karkerên Kurdistan, Parti des Travailleurs du Kurdistan, fondé en 1978. More, mouvement qui figure sur la liste des organisations terroristes de l’Union européenne.
Fermez le ban, tout est dit. Leyla Zana ne pourra pas compter, pour la défendre, sur Alain Juppé qui traite les mouvements de résistance et ceux qui les soutiennent de terroristes. Mme Alliot-Marie, qui l’a précédé au MAE, s’est discréditée en volant au secours du tunisien Ben Ali, je ne souhaite pas pour la France que son successeur se compromette avec la politique liberticide du turc RT Erdogan.
Alain Juppé retricote les relations détricotées entre la France et la Turquie
Suite au vote des députés de sanctionner par la loi le négationnisme des génocides, Les Turcs ont “surréagi”, comme le signale la diplomatie françaises : ils menacent de boycotter les produits français et de débaptiser des rues d’Ankara portant des noms français. Ainsi l’avenue Degole (Général de Gaulle) pourrait s’appeler du nom d’un des héros algérien durant la guerre coloniale et l’adresse de l’ambassade de France à Ankara , sise rue de Paris, pourrait porter le nom de “rue du génocide algérien” (sous-entendu fomenté par les Français), déclenchant une vive réaction de la part d’Ahmed Ouyahia, chef du gouvernement algérien :
Nous disons à nos amis (turcs), nous leur demandons de cesser de faire de la colonisation de l’Algérie un fonds de commerce, nul l’a le droit d’utiliser le sang des Algériens à des fins électoralistes.
Durant ce temps, “l’Alain Juppé, droit dans ses bottes” d’autrefois fait profil bas et avoue benoitement “faire le job” en retricotant les relations distendues entre les deux gouvernements. Nul ne doute qu’il a dans sa manche des arguments qui mettront fin à cette fausse querelle de susceptibilité froissée, comme, par exemple, échanger un ‘terroriste” contre une plaque de rue.
Nouvelles opérations policières dans 17 villes de Turquie
Ne comptons pas sur Alain Juppé pour protester, même discrètement, contre de nouvelles opérations policières de grande ampleur menées ce matin dans 17 villes dont celles d’Ankara, Istanbul, Diyarbakir, Adana, Izmir, Batman, Siirt, Urfa, Agri, Mus, Van et Mardin.
La police a procédé à des perquisitions dans les locaux de la Mairie de Diyarbakir et de la Confédération des Syndicats de Fonctionnaires (KESK) et au domicile privé de la députée Leyla Zana. Elle a aussi interpellé et placé en garde à vue des dizaines de personnes parmi lesquelles figurent Fatma Kurtalan, vice-présidente du BDP et ancienne députée, Tuncer Bakirhan, membre du Conseil exécutif du BDP, et Murat Ciftçi, correspondant de l’agence de presse DIHA.
Selahattin Demrtas et Gültan Kisanak, co-présidents du BDP, lancent un appel à l’opinion publique internationale et rappellent les chiffres des mises en détention depuis avril 2009 : 5 000 personnalités politiques dont 6 députés, 27 maires, des dizaines de conseillers municipaux et de cadres du DBP. 41 avocats ont été également incarcérés depuis le 25 novembre 2011 et 36 journalistes depuis le 20 décembre 2011, ce qui porte à plus de cent le nombre de journalistes détenus depuis avril 2009.
Appel du BDP
La Turquie est en train de sombrer dans un chaos dont la responsabilité incombe entièrement au régime totalitaire du gouvernement AKPAdalet ve Kalkınma Partisi (Parti de la Justice et du Développement), parti islamiste aux mains de l’autocrate Erdogan. More. Non seulement les politiciens kurdes, mais aussi les démocrates turcs, les avocats, les journalistes, des milliers d’étudiants et de membres des ONG sont emprisonnés sans aucun motif raisonnable, la Loi antiterroriste, le Code pénal turc et le Code de procédure pénale permettant aux procureurs d’arrêter sans preuves tous les opposants, notamment les Kurdes. Il est clair qu’aucuns des membres du BDP interpellés et détenus n’ont commis les actes de violence dont ils sont accusés, mais le système judiciaire turc qualifie par d’activités terroristes leur discours sur l’identité kurde et leur participation à des réunions démocratiques.
Le BDP dénonce l’existence illégitime des tribunaux spéciaux, qui remplacent la Cour de Sûreté de l’État et le fort soutien que la Turquie totalitaire reçoit des États membres de l’Union européenne et des États-Unis, mais il prévient : le peuple kurde et les démocrates turcs continueront de résister. Ils vont se réorganiser et prendre les dispositions pour lutter “contre la barbarie de l’AKP”. M. Juppé est prévenu : la position qui consiste à ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire, celle des “trois singes de la sagesse” va être de plus en plus difficile à tenir.
Edmond Hervé, sénateur socialiste, ancien ministre, écrit à Alain Juppé
Eyyup Doru – Faruk pour ses amis – le représentant en Europe du BDP est incarcéré à Munich depuis le 15 décembre dernier. Il raccompagnait une délégation du BDP, dont la députée Leyla Zana venue de Turquie pour une série d’entretiens en Europe, quand il a été interpellé à la suite d’une plainte de la Turquie qui a, via Interpol, lancé abusivement un mandat contre lui .
Nombre de personnalités politiques, députés européens, parlementaires français, ont réagi et écrit aux gouvernements allemand et français. Edmond Hervé, ancien ministre, maire honoraire de Rennes, sénateur d’Ille et Vilaine, est de ceux-là. Il s’est adressé aux ministres allemands de la Justice et des affaires étrangères, et a interpellé Alain Juppé en ces termes : Dans un contexte où l’arrestation récente en Turquie de nombreux élus, avocats et journalistes rend chaque jour plus difficile la mise en œuvre d’une solution politique et pacifique de la question kurde que tous les démocrates appellent de leurs vœux, l’incarcération de Monsieur Doru me paraît particulièrement préoccupante.
Je ne doute pas que l’Allemagne, attachée au respect des principes fondamentaux que sont le droit d’asile et le droit à la libre expression, relâchera Monsieur Doru, comme ce fut le cas sur le champ lors de précédentes arrestations en Autriche et en Italie ou après un arrêt de l’Audiencia Nacional en Espagne, qui en 2009 avait débouté la Turquie au motif que les preuves justifiant la demande d’extradition n’étaient pas apportées.
Toutefois la détention de Monsieur DORU n’a que trop duré, et la France, qui lui a accordé le statut de réfugié politique, doit protéger les personnes qu’elle accueille. Je vous remercie donc, de bien vouloir suivre l’évolution de ce dossier au plus près avec les ministres allemands concernés, afin que Monsieur Doru puisse être libéré au plus tôt.
André Métayer