Armelle Darcel-Thomas dont les travaux de recherche font autorité, est docteur es Sciences de l’Education (AUTISME, les nouvelles pratiques professionnelles), éducatrice spécialisée, ancienne directrice d’établissement médico-social, formatrice. Elle dirige aujourd’hui à Saint Brieuc le centre Louis Guilloux de formation en travail social accueillant les étudiants en formation initiale et continue pour la formation préparatoire à l’obtention de diplômes professionnels relevant du code de l’action et de la famille.
Depuis une dizaine d’années, elle intervient dans de nombreux colloques ou séminaires traitant des troubles envahissants du développement, les TED, en Bretagne, en France mais aussi à l’étranger, comme en République tchèque où elle est régulièrement sollicitée.
En avril dernier, elle s’est rendue à Diyarbakir, ville kurde de Turquie, à l’invitation d’une association de parents d’enfants atteints d’autisme, l’association DOM-DER (Autisme, Action à Diyarbakir) pour une intervention magistrale dans un colloque organisé dans le cadre de la IV° Journée Mondiale de sensibilisation à l’autisme. Elle a aussi, avec Franck Métayer, responsable de service à l’IME Le Triskell de Rennes, animé un séminaire organisé à l’attention des familles et des éducateurs et rencontré des personnalités de collectivités locales, de l’Université et des services de l’Etat.
Armelle Darcel-Thomas a bien voulu répondre à mes questions.
André Métayer
A.M. – vous revenez de Diyarbakir : que souhaitez-vous dire en premier?
Armelle Darcel-Thomas – je voudrais parler en premier de la souffrance des gens : je pense à ce jeune couple, effondré, accompagné de leur jeune enfant de 18 mois environ et d’un ami enseignant ; l’enseignant intervient au nom des deux parents qui ne peuvent parler. Ils savent depuis un mois que leur enfant est atteint d’autisme, et demandent ce qu’ils peuvent faire pour leur enfant ? Un mois après l’annonce de l’autisme il ne reste à ces parents qu’un mot pour nommer leur angoisse du présent et de l’avenir : autisme. Ils n’ont pas le comment faire, le comment projeter. Ils ont besoin d’être accompagnés pour laisser avant tout place à l’enfant et ne pas l’oublier derrière le rideau du handicap. Leur situation renvoie à la nécessité de l’accompagnement de l’annonce du handicap et au besoin de solidarité et de réseau amical et institutionnel.
A.M. – Qu’offre le réseau institutionnel?
Armelle Darcel-Thomas – l’isolement des familles de la région de Diyarbakir est perceptible dans tous les échanges et la réponse de la société civile apparaît disproportionnée: 1,1% du temps mensuel d’un enfant (8h de prise en charge médico-sociale ambulatoire financée par mois). Cette situation conduit à la réclusion maternelle au domicile familial et à l’autarcie renforçatrice des comportements autistiques des personnes atteintes de troubles envahissants du développement. Seules les familles aisées peuvent financer précepteurs et auxiliaire personnel. L’isolement des familles, l’absence de soutien et de guidance, l’absence d’informations les conduisent à maintenir leur enfant dans l’assistanat. Très vite nos rencontres laissent entrevoir l’épuisement de certaines familles.
A.M. – Que peut faire une association comme DOM-DER?
Armelle Darcel-Thomas – les échanges avec les différents adhérents de DOM-DER, démontrent une mobilisation forte. Nous avons découvert des espaces réels de concertation et de mutualisation et une volonté d’ouverture pour lutter au quotidien contre l’exclusion de leur enfant ; les actions de l’association contribuent à lutter contre l’isolement social des familles. La participation aux groupes de paroles et à la conférence témoigne d’une soif d’apprendre et de dépasser les difficultés du quotidien. Il est à noter que DOM-DER est une association ouverte sur la planète avec des regards via internet sur l’Europe, les Etats unis, la Russie. Les attentes de DOM-DER sont énormes au niveau de la formation, de l’information et de la sensibilisation des différents acteurs concernés par l’autisme.
A.M.- que peut apporter une coopération entre Rennes, la Bretagne et Diyarbakir en faveur des personnes attentes d’autisme?
Armelle Darcel-Thomas – plusieurs pistes possibles de travail et de coopération sont possibles : Construire et accompagner la mise en place d’une organisation locale pérenne, par exemple, et construire et accompagner la mise en œuvre des réponses éducatives adaptées au domicile familial et dans les institutions spécialisées. Il faut lutter contre l’épuisement parental, former des enseignants et les accompagner ; il faut aussi faire une grande politique d’information des médecins de famille. Un projet de coopération entre des partenaires bretons et ceux de DIYARBAKIR (DOM-DER, municipalité, collectivités territoriales, institutions d’Etat) est possible et souhaité : une convention liant DOM-DER, L’A.F.P.E., et L’I.M.E. LE TRISKELL est à l’étude ; d’autres partenaires, techniques et financiers seront nécessaires.
A.M. – cette conférence à Diyarbakir vous a aussi plongée dans un contexte politique assez explosif que vous ne soupçonniez peut-être pas : quel regard portez-vous sur le combat des Kurdes pour la reconnaissance de leur droit ?
Armelle Darcel-Thomas – Rien n’est plus précieux que la liberté de penser et de s’exprimer. C’est un droit qui doit être défendu en permanence et doit être revendiqué pour tous sur l’ensemble de la planète. J’ai eu l’opportunité de me rendre aux tentes “pour une solution démocratique” à Diyarbakir. Malgré la barrière de la langue j’ai constaté que l’’engagement de l’ensemble des familles, la dignité de chaque personne, la précarité et le dénuement et l’insécurité sont manifestes. Cette action force le respect et doit être connue. Hélas, le silence des médias internationaux sur le combat des Kurdes est assourdissant. Une fois de plus, dans les pays aisés, les citoyens assis sur la certitude de leur droit qu’ils n’exercent même plus, captifs des virtualités télévisuelles anesthésiantes ont peu accès aux informations sur les questions fondamentales de droit de l’homme et de démocratie. Tout homme quel que soit son origine, ses racines doit pouvoir être citoyen et participer au développement de l’espace où il vit sans avoir à renier ses racines. Suite à ce déplacement à Diyarbakir, pour moi, la solidarité, le libre choix, la mutualisation, l’information, l’accès au savoir pour tous, le droit à l’éducation, le droit à une qualité de vie pour chacun sont des valeurs qui prennent tous leur sens. L’existence d’association telle que celle d’AKB doit être soutenue car ses initiatives concrètes et inscrites dans la durée garantissent la diffusion de telle situation auprès de tous, maintiennent le lien avec les personnes concernées et contribue à aider les personnes elles mêmes à construire les bases de leur propre avenir.