A Diyarbakir, dans cette grande ville métropole d’un million cinq cent mille habitants, dont l’une des grandes préoccupations est le social, le DÖHK (Mouvement démocratique des Femmes Libres) est présent et actif avec deux organisations, Dikasum et Epidem, dont les actions se complètent pour répondre en priorité aux problèmes des populations pauvres des bidonvilles, aggravés par le flux des migrations forcées.
Diyarbakir a en effet accueilli en grand nombre des populations kurdes venant de zones rurales que l’armée turque avait chassées de leurs villages, auxquelles s’ajoutent aujourd’hui les réfugiés venant de Syrie. Dikasum est un espace de vie sociale avec ses foyers ouverts aux femmes victimes de violences, domestiques ou carcérales.
Avec ses laveries et la gestion des foyers d’accueil, Dikasum est présent dans quatre quartiers ciblés, alors que les centres d’écoute et d’éducation (Kadin Eğitim ve Psikolojik Danışmanlık merkezi) d’Epidem apportent une aide psychologique, médicale, juridique et éducative aux populations “immigrées de l’intérieur”, notamment aux femmes qui souffrent de l’isolement et de la pauvreté.
Un centre d’écoute et d’éducation à Yenişehir
La mairie de Yenişehir (arrondissement de Diyarbakir) a ouvert un centre Epidem, un service composé d’une équipe de professionnels (coordinatrice, psychologue, sociologue, assistante) et de bénévoles. Il s’adresse à tous publics, de toutes origines ethniques ou religieuses. Pour autant le public est surtout kurde et féminin, résidant dans les quartiers implantés de manière sauvage au pied des remparts. Le centre est aussi fréquenté par des réfugiés/es venant de Syrie. Il intervient dans 33 quartiers, des “gecekondu” (bidonvilles).
La principale activité d’Epidem est l’assistance psychologique. Les femmes victimes de violence la trouvent dans trois foyers d’accueil dont deux dépendent de la mairie métropolitaine de Diyarbakir où elles sont accueillies avec leurs enfants. Dans le troisième foyer, placé sous la tutelle de la préfecture, les enfants sont confiés à un foyer pour enfants. Cette assistance est nécessaire mais pas suffisante. Epidem organise donc aussi des formations sur des sujets tels que la planification familiale, la santé des femmes, la contraception, les relations parents/enfants, les droits humains, en particulier les droits des femmes. Des ateliers psychothérapeutiques sont créés pour répondre problèmes psychologiques survenus à la suite d’une migration forcée ou de violences conjugales. Un service de garde d’enfants fonctionne en continu. Une des actions des animatrices d’Epidem est d’aller à la rencontre des maris et des pères. Où peuvent-elles les rencontrer si ce n’est au café, le “kahve” (en turc) ou “qehwe” (en kurde) ?
Il y a bien sûr des réactions vives car nous combattons certains tabous de notre société. Nous luttons contre le machisme, un mal sociétal qui ronge la Turquie tout entière. Dans les procès pour meurtres de femmes, les présumés coupables, maris, pères, frères, obtiennent souvent des circonstances atténuantes au motif que ces crimes seraient des crimes d’honneur. Notre action dans les cafés se veut être une opération amicale avant tout de persuasion.
Un travail à long terme est engagé dans ce sens au sein du BDP auprès des hommes, mais aussi auprès des femmes encore imprégnées de cette mentalité. Mais toutes ces activités, dont la gouvernance est participative, sont suspectes aux yeux du gouvernement, qui y voit des actions politiques. Beaucoup de militantes féministes sont actuellement incarcérées. Özlem Ozen, présidente de Dikasum, est elle-même poursuivie pour avoir organisé une manifestation dans le cadre de la journée internationale contre les violences faites aux femmes (8 mars).
Claire Lagarde
Michel Besnard
André Métayer