“Avec un dirigeant comme M. Erdoğan, seule la fermeté paye”

Dans une tribune publiée en première page d’Ouest-France et intitulée ” La Turquie est-elle notre ennemie ?”, Bruno Tertrais revient sur les profondes divergences et tensions qui marquent les relations entre la France et la Turquie. Des relations à couteaux tirés.

En fin politologue, Bruno Tertrais note les différentes raisons de cette crise majeure entre les deux pays : “la Turquie n’est évidemment pas l’ennemie de la France. Mais si M. Erdoğan choisit d’être l’adversaire de l’Europe, il faut le traiter comme tel”.

Et de pointer le danger que représente le “nouveau nationalisme turc, (qui) mêle revanchisme, paranoïa, et impérialisme”. Ce danger, il en parle quand il s’agit de la Syrie et de la Libye, des réfugiés, du droit de la mer, de la sécurité énergétique, de la place de l’islam dans les sociétés occidentales, il cite l’envoi de mercenaires djihadistes en Libye, le non-respect de l’embargo sur les armes, les manœuvres militaires agressives, les prétentions territoriales en Méditerranée avec à la clé le contrôle des zones gazières, le chantage à l’ouverture des frontières aux réfugiés syriens. Il parle des enjeux européens, voire mondiaux, il cite Moscou et Pékin qui “regardent la manière dont nous réagissons aux prétentions turques en Méditerranée“. Il cite même comme points de tension la reconnaissance par la France du génocide arménien et le soutien aux Kurdes syriens.

Mais, curieusement, pas un mot sur la répression féroce exercée par RT Erdoğan sur les peuples de Turquie, et principalement sur les Kurdes, pour peu qu’ils s’opposent à la politique fascisante du dictateur. Nils Andersson, éditeur militant, en préfaçant le livre “Vingt-cinq ans aux côtés du peuple kurde” édité par les AKB, décrit cette dure réalité :

ce sont les violences militaires, policières et des forces spéciales, les bombardements et les destructions de villages, les humiliations et les contrôles permanents, les arrestations massives, les tortures, les viols, les procès où la défense est entravée, les prisons, les grèves de la faim jusqu’à la mort, les disparitions, les assassinats en Turquie et à Paris, l’exil. Ce livre nous fait entendre la voix de ce paysan : “si je vous parle, je risque d’être tué mais vous pourrez dire ce qui se passe ici. Si je ne parle pas, je risque d’être tué quand même, mais personne n’en saura rien.” Il nous fait également entendre les voix d’élu.es, de maires, d’avocat.es, de militant.es, de syndicalistes, de femmes et d’hommes de toutes les générations.

“L’extermination silencieuse des Kurdes” comme titrait Ouest France en 1994, dans une interview d’un député kurde, (édition des 21.22.23 mai 1994) ne date pas d’hier et les Amitiés kurdes de Bretagne n’ont cessé de déclarer que la dictature islamique qui a succédé à une dictature militaire est une menace pour notre démocratie – l’assassinat de trois militantes kurdes en plein Paris est là pour nous le rappeler -, et que la résistance kurde, connue sous le nom du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) est légitime.

Nous connaissons bien sûr les raisons qui poussent les “faiseurs” de la politique suivie depuis des décennies par la diplomatie française – et ce en dépit des changements de majorité – à taire cette réalité qui devient, néanmoins, de plus en plus difficile à cacher. Ces raisons, on peut les résumer en une formule : PKK = terrorisme. C’est terriblement injuste : Les politiques répressives des autorités turques laissent-ils d’autres choix au peuple kurde que la lutte armée ? La question fait débat. Elle est légitime. Mais le débat doit dépasser la réflexion théorique et chacun doit se poser la question : que fait-on pour la paix ? Nils Andersson rappelle qu’Öcalan et le PKK, avec clairvoyance et sens des responsabilités, préconisent depuis vingt ans, selon le concept du confédéralisme démocratique, l’autonomie du Kurdistan dans le cadre de l’État turc. Mais aux propositions de trêve à la lutte armée ou d’autonomie pour les Kurdes au sein de l’État turc, la seule réponse d’Erdoğan demeure la répression.
 
Ce que confirme le verdict du Tribunal permanent des Peuples rendu en 2018 :

l’Etat turc est reconnu responsable du déni au peuple kurde de son droit à l’autodétermination, en lui imposant l’identité turque, en niant l’identité et la présence du peuple kurde, en réprimant sa participation à la vie politique, économique et culturelle du pays, interprétés comme une menace à l’autorité de l’Etat turc… Le président de l’État turc, Recep Tayyip Erdoğan, porte une responsabilité directe pour les crimes de guerre et les crimes d’État commis en particulier dans les villes du Sud Est de l’Anatolie.

Les Amitiés kurdes de Bretagne sont porteuses de ce jugement citoyen.
 
Avec un dirigeant comme M. Erdoğan, seule la fermeté paye“. OK mais, ceci dit, que préconisez-vous M. Tertrais?


André Métayer