François Legeait et Gaël Le Ny débordent de tendresse dans l’art de photographier des hommes, des femmes, des enfants qui, à travers leur regard, leurs gestes, leur rendent la pareille.
Tendresse mais aussi lucidité. Elles n’en manquent pas, ces photos réalisées dans le cadre des activités des Amitiés kurdes de Bretagne et présentées dans ce bel ouvrage, édité aux Editions de juillet. Ils n’en manquent pas non plus les textes d’Elie Guillou, ce “troubadour des temps modernes”, comme il se nomme lui-même :
le promeneur arrivant à Diyarbakir par les rives du Tigre a l’impression d’approcher un village. D’abord quelques carrés de terre remuée sur lesquels on devine un semis récent ; plus loin, des cahutes, briques et basaltes, entassées de part et d’autre du vallon ; entre les deux, un vieil homme en tenue traditionnelle surveille le grain d’un œil tranquille. Il n’a ni pelle, ni bêche, juste une canne en bois brut soulignant son autorité patriarcale. C’est le gardien de la lenteur.
Elie, François et Gaël nous font entrer au cœur d’un quartier, Ben û Sen, un bidonville vu de la ville métropolitaine de Diyarbakir, capitale du Kurdistan nord (Kurdistan de Turquie). Mais vu de la vallée du Tigre, c’est un village reposant sur des liens économiques et sociaux solidaires et aujourd’hui menacé par des projets de restructuration urbanistique liés à la rénovation des remparts de la ville au pied desquels il est niché. Une rénovation de cette ampleur, écrit René Péron, chercheur au CNRS en sociologie urbaine, ne peut se comprendre sans la replacer dans les orientations de la politique mise en œuvre par l’AKPAdalet ve Kalkınma Partisi (Parti de la Justice et du Développement), parti islamiste aux mains de l’autocrate Erdogan. More, parti majoritaire islamo-conservateur du président autocrate R.T. Erdoğan :
on comprend que ces orientations laissent peu de place pour les plus pauvres, les plus fragiles, les plus menacés, surtout lorsqu’il s’agit de Kurdes, de toutes les personnes appartenant à des minorités de quelqu’ordre qu’elles soient, ethniques, religieuses, sexuelles et dont on nie les identités singulières, tant leurs droits culturels et politiques que leurs besoins les plus élémentaires en logement, en santé, en éducation. Les politiques de rénovation, dans les espaces comportant des atouts touristiques, loin d’avoir comme objectifs prioritaires de réduire les poches de pauvreté, ont plus volontiers pour préoccupation de ne pas les donner à voir.
Mais tout espoir n’est pas perdu. La mairie de Diyarbakir souhaite vraiment s’attaquer à l’insalubrité du quartier tout en relogeant les populations sur place, autant que faire se peut. C’est un véritable défi lancé à l’Etat turc, peu enclin à préserver le tissu social. Le travail de nos deux photographes en témoigne. Diyarbakir, 250 000 habitants dans les années 80, bientôt 2 millions, ne cesse d’accueillir les réfugiés, d’abord ceux de l’intérieur chassés de leurs villages incendiés par l’armée turque, auxquels viennent s’ajouter ceux du RojavaKurdistan occidental (Kurdistan de Syrie), divisé en trois cantons : Cizirê (le canton le plus peuplé comprenant notamment la ville de Qamişlo), Kobanê et Efrin. More (Kurdistan de Syrie) et de Sinjar, chassés par les djihadistes du prétendu Etat islamique. Instaurer une démocratie participative est une démarche exigeante qui implique de donner la parole à tous, y compris aux plus démunis, comme ceux de Ben û Sen. Leur parole doit être écoutée avec respect. Sans oublier la tendresse.
André Métayer