“Avec sa disparition, le peuple kurde perd un grand ami des jours difficiles, la France un diplomate de grande envergure, courageux, non conformiste, fin lettré et visionnaire” écrit en forme d’épitaphe l’Institut kurde de Paris en annonçant le décès de l’ambassadeur Bernard Dorin, survenu le 20 février à l’âge de 89 ans des suites d’une longue maladie.
On peut dire de Bernard Dorin que c’était un grand monsieur, d’une extrême simplicité, qui forçait le respect. J’ai eu la chance de l’avoir rencontré à plusieurs occasions, dans différents colloques où sa voix, mezza-voce, portait néanmoins loin et fort.
Je lui écrivis en mai 2009, après un colloque où je l’avais écouté avec une très grande attention parler avec autorité du “grand Kurdistan” : “je savais que vous étiez de longue date un fervent défenseur de la cause kurde, mais je suis curieux d’en savoir plus : j’ai lu ici ou là que vous aviez connu les leaders historiques et que vous les aviez “passionnément défendus, y compris les armes à la main”.
Les Kurdes, destin héroïque, destin tragique
Dans l’un de ses ouvrages, “Les Kurdes, destin héroïque, destin tragique” (éditions Lignes de repères, Paris, 2005), un livre d’entretiens avec le journaliste Julien Nessi paru en 2005, préfacé par son ami Gérard Chaliand, il conclut, après un inventaire de la situation des Kurdes dans les quatre Etats dont ils sont membres, sur les chances des Kurdes de gagner enfin leur droit à exister en tant que Kurdes. Sa conclusion est prémonitoire et loin d’un optimisme béat : ce peuple de fiers guerriers, contraint à l’héroïsme, est pris en tenaille entre les mondes arabe, turc et iranien.
Dans “Kurdistan, la colère d’un peuple sans droits” (Les petits matins, 2012), d’Olivier Piot et Julien Goldstein, qu’il préface, il écrit notamment : “ce qu’il ne faut jamais perdre de vue, c’est que la nation kurde, avec son histoire, sa langue, sa culture, ses traditions, sa musique, ses chants, jusqu’à ses habits, est la plus grande nation au monde qui soit privée d’État et, de ce fait, subit l’oppression des États qui se partagent son territoire ancestral. Ce territoire riche en pétrole que les Kurdes n’ont trop souvent connu que sous la forme du napalm !”
Le 13 octobre 2012, Bernard Dorin, ambassadeur de France, ouvrait la conférence organisée à Paris, à l’Assemblée nationale, par le Congrès National du Kurdistan (KNK), le Parlement kurde en exil, dont le siège est à Bruxelles. Le thème était la situation du Kurdistan occidental (Syrie). Le Conseil suprême kurde de Syrie, des partis politiques kurdes syriens, les communautés assyro-chaldéenne et arménienne, deux députés kurdes de Turquie (du Parti pour la Paix et la Démocratie, le BDP), étaient présents et ont débattu ensemble.
J’ai salué Bernard Dorin en présence de Rojbîn, qu’il connaissait particulièrement et qu’il tenait en haute estime. Sakine Cansiz était aussi présente. C’était le 13 octobre 2012, trois mois avant le triple assassinat à Paris, 147 rue La Fayette.
André Métayer