Diyarbakir est belle comme un mois d’avril en Bretagne. L’air frais de la montagne descend jusqu’ici, et ce n’est pas le trafic routier dans les alentours qui va alourdir l’atmosphère en particules fines.
Dans cet endroit, si vivant en temps normal, deux photographes ne passent pas inaperçus dans ses ruelles désertées. Bahar (nous l’appellerons ainsi, car Bahar, en kurde veut dire “printemps” et cela lui va si bien), la cinquantaine pimpante, nous aborde en anglais “Les amis, où allez-vous comme cela, le quartier n’est pas sûr. Il y a la police et l’armée par ici.”
Elle nous invite à la suivre, nous guidant dans le dédale. Elle a tout connu, la petite dernière de la dynastie que son père a fondée avec ses six épouses. Bahar se souvient de son enfance à Diyarbakir, du coup d’Etat du général Evren en 80, des années noires de la contre guérilla en 90, son mari emprisonné pendant trois ans, son neveu et son oncle abattus, la fuite à Istanbul afin de se faire oublier et d’élever les enfants.
En 2012, c’est le temps de pourparlers de paix entre l’Etat et le PKKPartiya Karkerên Kurdistan, Parti des Travailleurs du Kurdistan, fondé en 1978. More. Pour elle, c’est pouvoir revenir ici, car les enfants sont grands et diplômés, rattraper le temps perdu, pouvoir s’occuper des parents, de son peuple. Elle ouvre une porte qui donne sur la cour de la maison familiale depuis 1920. Elle vient nourrir les chats restés seuls, parce que père et mère sont loin, à l’abri.
Elle nous montre que les soldats ont pillé la maison pendant leur absence.
Ceci fait, elle nous emmène au collège ou elle officie en tant que bénévole. Depuis le couvre-feu, la plupart des élèves sont partis avec leurs familles se réfugier ailleurs. En chemin, nous rencontrons Memo qui se tient debout fièrement sur un tas de gravats. Il nous interpelle en français : “Comment allez-vous? J’ai vécu à Lyon. Je connais bien la France, mais je ne comprend pas pourquoi l’Europe n’intervient pas”. On se dit au revoir, en faisant une photo. Quand on demande aux Kurdes s’il y un autre sens aux deux doigts en l’air que le signe de la victoire, les poètes répondront: “Cela veut dire que tu ne seras jamais seul”. Les narquois répondront cyniquement non sans humour : ” Ce sont les deux dernières secondes qu’il te reste à vivre…”
Bienvenue au Cœurdistan.
Texte et photo : Gaël LN