Le 1er mai 2012 a été en Turquie, comme partout dans le monde, la fête des travailleurs et une foule nombreuse l’a célébrée dans les villes turques et kurdes. Des militants d’organisations syndicales et de partis politiques, de simples citoyens de la société civile venant d’horizon différents ont défilé, créant ça et là des tensions sporadiques avec la police, très mobilisée à cette occasion : ce fut surtout sensible dans la province kurde et alevi de Dersim (Tunceli) et à Amed (Diyarbakir) où les militants kurdes du BDP (Parti pour la Paix et la Démocratie) ont été très actifs. Ce fut sensible aussi dans les métropoles turques. A Ankara, les syndicats TÜRK-İŞ (Confédération des syndicats turcs), KESK (Confédération des syndicats de fonctionnaires) et DİSK (Confédération des syndicats révolutionnaires de Turquie) ont rassemblé des centaines de milliers de personnes : “lors d’un affrontement avec des manifestants, 15 policiers ont été blessés dont l’un d’eux est dans un état critique”, note le quotidien turc Hürriyet qui signale aussi une échauffourée avec un groupe d’ouvriers du livre qu’on voulait empêcher de se rendre sur le lieu de la manifestation : six d’entre eux ont été interpellés. A Istanbul, après d’intenses négociations, la manifestation a été autorisée à se dérouler place Taksim, à condition que le nombre de manifestants soit “raisonnable” (Hürriyet) : 5 000 manifestant ont été autorisés à pénétrer dans ce périmètre bouclé par des barrages filtrants de 25 000 policiers alors que les organisateurs chiffraient à 300 000 le nombre de personnes se présentant au contrôle, ce qui a provoqué des batailles de rues dans les voies adjacentes.
35 ans après un premier mai de sinistre mémoire
Il faut savoir que la place Taksim est devenue un symbole, depuis le 1er mai sanglant de 1977, renforcé par l’interdiction de toute commémoration sur cette place, interdiction qui a duré jusqu’au 1er mai 2010. Il a fallu attendre 2009 pour que le Parlement adopte une loi faisant à nouveau du 1er mai un jour férié. “Aujourd’hui nous sommes heureux et fiers de célébrer le 1er mai avec les salariés sur la place de Taksim, a clamé Mustafa Kumlu, le président de la confédération Türk-Is. Mais nous avons tous une dette envers ceux qui ont perdu la vie : nous devons démasquer et remettre à la justice ceux qui sont à l’origine des événements douloureux de 1977”.
Le 1er mai 1977, 500 000 personnes étaient réunies place Taksim quand elles furent chargées par les forces de sécurité qui, appuyées par des véhicules blindés et des canons à eau, créèrent une énorme panique. On releva 37 tués et 200 blessés, certains par écrasement, d’autres par balles réelles. Des snippers ont été vus tirant sur la foule du haut d’un immeuble. La police procéda, parmi les manifestants, à 500 interpellations, 98 inculpations et 17 mises en détention. La gendarmerie procéda à l’arrestation d’une vingtaine de tireurs d’élite mais aucun ne fut poursuivi.
La Turquie, pays de l’insécurité pour les travailleurs
La Turquie est l’un des pays les plus dangereux au monde pour les travailleurs, malgré une croissance économique tant vantée par le gouvernement AKPAdalet ve Kalkınma Partisi (Parti de la Justice et du Développement), parti islamiste aux mains de l’autocrate Erdogan. More et l’Occident. Les travailleurs continuent d’être victimes des accidents de travail : 238 morts depuis début de l’année en cours et près de 10 300 en neuf ans. 2 200 000 de travailleurs dans le monde meurent chaque année à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, soit 5 000 personnes par jour, selon le Bureau international du travail. La Turquie est en tête de liste parmi les pays européens et se trouve au 3e rang à l’échelle mondiale, selon bureau de l’Organisation internationale du Travail (OIT)
écrit sur son blog Maxime Azadi qui accuse le gouvernement turc de ne pas faire son devoir pour la protection de la vie des travailleurs, mais, au contraire, de rechercher par tous les moyens à éliminer les syndicats. Une quarantaine de syndicalistes se trouvent aujourd’hui incarcérés en Turquie.
Le BDP demande une enquête parlementaire
Ertuğrul Kürkçü, député BDP de Mersin, a demandé une enquête parlementaire suite à la publication d’un rapport “Santé et Sécurité” faisant état de 75 accidents de travail mortels en Turquie dans le seul mois d’avril 2012, soit le taux mensuel le plus élevé de l’année en cours.
André Métayer