Christophe Thomas nous offre la traduction d’un document long, étayé mais très instructif co-écrit par Amberin Zaman, Mohammad Hardan et Dan Wilkofsky pour le média en ligne Al-Monitor.
(Ci-joint en PDF)
Al-Monitor est un site d’information lancé en février 2012 et basé à Washington. Ses journalistes et Ses experts fournissent des rapports, des reportages et des analyses sur les différents pays du Moyen-Orient, dont la Syrie et la Turquie.
Amberin Zaman, journaliste turque, est la correspondante depuis cinq ans d’Al-Monitor, couvrant le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord et l’Europe, avec un regard particulier sur la Turquie, de l’Irak et de la Syrie. Avant Al-Monitor, Amberin Zaman a couvert “la Turquie, les Kurdes et les conflits dans la région” pour le Washington Post, le Daily Telegraph, le Los Angeles Times et la Voice of America. Elle a également travaillé comme chroniqueuse pour plusieurs médias turcs. Elle a participé, le 22 mars 2021, à une émission animée par la vice-présidente du National Press Club, Jen Judson : “Quelle est la prochaine étape pour les relations américano-turques sous le président Biden ? “
Mohammed Hardan, journaliste syrien, basé en Turquie, écrit pour plusieurs revues arabes et internationales Il travaille aussi pour des chaînes de télévision, agences de presse et sociétés de production. Il a également collaboré avec un réseau des droits de l’homme à une enquête sur les abus commis en Syrie par les parties au conflit, et préparé des rapports à ce sujet. Il est membre de la Fédération internationale des journalistes, de l’Association des journalistes syriens, de l’Association des médias turcs arabes et du Club des journalistes syriens.
Dan Wilkofsky, analyste de la Syrie, fut rédacteur en chef de Syria Direct, un média animé depuis la Jordanie par des journalistes indépendants, soutenu par le Fonds canadien d’initiatives locales, Konrad Adenauer Stiftung Bureau Syrie/Irak, fiducie caritative Global Peace and Development, la Fondation européenne pour la démocratie, les ambassades de France et d’Australie en Jordanie,
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Le paisible relief de la région d’Afrin tranche avec l’absence de pouvoir et l’omniprésence de la violence, à l’image de nombreux territoire sous contrôle turc dans le nord et l’ouest syrien.
Au cours de ses 17 jours de captivité, Leila Mohammed Ahmed, 63 ans, a assisté impuissante au suicide de dix jeunes femmes à la suite de leur viol par des membres de la Division Sultan Murad, une faction rebelle sunnite affiliée à l’Armée Nationale Syrienne (ANS), soutenue par la Turquie. Le récit de cette femme de 63 ans n’a rien d’extraordinaire, disent les auteurs du récit : il est hallucinant, terrifiant. Un rapport de la Commission d’enquête des Nations-Unies sur la Syrie rendu public en mars 2021 souligne que “durant leur détention, les femmes kurdes (et occasionnellement, les femmes yézidies) sont l’objet de menaces de viol, de traitements dégradants et humiliants, de tests de virginité, de viol et de diffusions vidéos et photographiques de ces violences sexuelles perpétrées contre elles.” Rapport confirmé par Meghan Bodette, chercheuse américaine qui a étudié le cas de 228 femmes enlevées dans la région d’Afrin depuis l’invasion turque. La Turquie, bien sûr, rejette ces accusations, des crimes dont elle devra répondre un jour.
Les Kurdes ne sont pas les seuls concernés, les Arabes syriens aussi. Le rapport fait état des exactions dont ils sont victimes “sans aucune discrimination” de la part de milices qui se partagent les territoires, sur fond de trafic de drogue, comme le confirme Elizabeth Tsurkov, doctorante à l’université de Princeton, experte reconnue de l’opposition syrienne et contacté par Al-Monitor.
Abu Amsha, un caïd, chef de guerre, trafiquant et businessman
Abu Amsha est une référence en la matière. Lui et les hommes de sa brigade intégrée à l’ANS, (supplétifs de l’armée turque) sont l’incarnation des profits que peut générer une guerre. La drogue mais pas seulement : “les enlèvements et les taxes agricoles arbitraires sur fond de nettoyage ethnique font partie de ses sources de revenus principales“. Abu Amsha ne rend des comptes à personne, et “s’arrange directement avec le renseignement turc”. Le trafic le plus juteux semble être celui qui s’organise autour de l’huile d’olive d’Afrin au point d’inquiéter les producteurs turcs. Pour Ahmed Ramadan, rédacteur en chef du Euphrates Post, un média de l’opposition syrienne basé à Istanbul, Abu Amsha est le numéro un du business : ” Le monde entier sait qu’ils volent (lui et ses hommes), que ce sont des profiteurs de guerre. Ils n’en ont même plus honte”. Son comportement est tel qu’il est l’objet d’un ressentiment interne. Il est aussi fortement soupçonné de viols.
Sedat Peker, parrain mafieux turc, mais aussi lanceur d’alerte
S’estimant lâché par son “ami” Erdoğan, condamné à plusieurs reprises dans des affaires d’escroquerie et en lien avec le crime organisé, Sedat Peker L’homme qui fait trembler Erdoğan – Amitiés kurdes de Bretagne (akb.bzh) s’était enfui de Turquie en 2019 pour échapper à de nouvelles poursuites et diffuse, depuis Dubaï, des informations compromettantes pour le pouvoir turc, (participation supposée de proches d’Erdoğan à des viols, trafics de drogue et livraisons d’armes à destination de djihadistes syriens…). “Ses vidéos postées sur YouTube sont visionnées en Turquie plusieurs millions de fois et, pour beaucoup de téléspectateurs, elles lèvent le voile sur la vérité puisque Sedat Peker, de son propre aveu, a été directement impliqué dans certains des crimes qu’il dénonce aujourd’hui” note le rapport co-écrit par Amberin Zaman, Mohammad Hardan et Dan Wilkofsky qui révèle également l’ouverture par Ankara d’un poste frontière clandestin entre la Turquie et les territoires occupés en Syrie pour faciliter les trafics. “Tufaah” (nom du point de passage) générerait près d’un million de dollars, par mois.
“Préoccupation” en langage diplomatique
“Washington se doit de désigner comme terroristes les groupes armés composant l’ANS qui ont commis des crimes de guerre “exige Sinam Mohammed, représentante du Conseil démocratique syrien aux États-Unis. Quant à Bassam al-Ahmed de l’ONG Syrians for Truth and Justice, pessimiste, il espère au mieux “que ces seigneurs de guerre soient individuellement inculpés pour leurs crimes”.
Quant à l’Administration américaine, elle se dit ” préoccupée par les rapports de terrain continus faisant état de la violation des lois inhérente à tout conflit armé ainsi que du non-respect des droits de l’Homme”, propos qui rappelle curieusement ceux du ministre français Jean-Yves Le Drian, La diplomatie au pied du mur : la question kurde ne se résoudra pas sans la reconnaissance des droits du peuple kurde – Amitiés kurdes de Bretagne (akb.bzh) que nous déplorons “La France suit l’évolution de la situation avec la plus grande attention”.
Ces paroles lénifiantes révèlent au mieux un certain laisser-faire, au pire, une certaine complicité.
André Métayer
Photo C. Thomas
– manifestation de soutien à Afrin, été 2018, Qamishlo
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