De la prison d’Izmir : “ils vident les poubelles au milieu de nos cellules”

Voici déjà bientôt quatre ans que Kadir est détenu à quelques 1 000 km de sa famille, dans une prison d’Izmir. Connu en Bretagne où il a résidé, Kadir est un militant ordinaire de la cause kurde condamné pour appartenance supposée au PKK : il lui est reproché d’avoir travaillé quelques mois comme technicien à ROJ TV, la télévision kurde en exil émettant depuis le Danemark.

Kadir est détenu dans une prison de type F, c’est-à-dire dans un isolement carcéral difficile à supporter. Arrêté et jeté en prison le 4 janvier 2008, il a été condamné le 2 octobre 2009 par le tribunal d’Izmir à une peine de prison de 11 ans et 3 mois. Il sera libérable sous conditions de bonne conduite le… 8 juin 2016 ! Kadir a déposé un recours auprès de la Cour européenne des Droits de l’Homme. Kadir continue de militer en faveur de la langue kurde et de lutter contre l’arbitraire et les mauvais traitements humiliants et dégradants. Il se rebelle, fait des grèves de la faim et dépose plainte sur plainte. Il se retrouve souvent au mitard. Il a déjà été condamné à 10 peines disciplinaires de plusieurs semaines, voire de plusieurs mois chacune. Dans sa dernière lettre, du 3 novembre, il dit craindre pour sa vie.

“Ils couperont toutes les fleurs mais ils n’empêcheront pas le printemps de revenir”.

Voilà, après un mois de silence, je te réécris à nouveau. Je viens de recevoir tes lettres. Je sais très bien qu’il y en d’autres qu’ils vont garder encore pendant des mois avant de me les donner. […] Actuellement, et depuis plusieurs mois, je suis en isolement total et arbitraire. Normalement, selon le règlement, trois de mes peines disciplinaires (restant) devraient être exécutées aux mois de février, mars et avril 2012, mais l’administration m’a notifié qu’elles seront exécutées tout de suite. […] Actuellement, mes conditions sont pires. Je ne peux même pas acheter mes besoins, même pas un stylo. La semaine dernière, j’avais demandé deux à la cantine de la prison, mais ils ont refusé ma demande. La même chose pour le papier. […] Mes conditions ne peuvent pas être pires. C’est la première fois que je t’écris ces phrases parce que je ne voulais ennuyer personne avec mes problèmes. Mais le problème n’est pas seulement la communication ou l’isolement, je crains aussi pour ma vie. Ici, très souvent, on subit les mauvais traitements. Parfois, seulement pour le plaisir, ils viennent fouiller nos cellules, ils vident les poubelles au milieu de nos cellules, ils dispersent nos affaires et notre nourriture. La dernière fois, un gardien nommé Mehmet Karayigit a pris certaines choses que j’avais, avec mon argent, achetées à la cantine de la prison. D’abord ils nous les vendent et après ils nous les reprennent. Il y a tellement de choses que, si je les écris, il me faudra écrire au moins un cahier. […] Demain, je vais parler à l’administration de la prison pour faire annuler ma peine disciplinaire. Normalement, elle doit être exécutée au mois de février prochain. Malgré tout, je vais très bien et j’ai le moral très élevé. Je t’écris très vite car ils peuvent exécuter ma peine disciplinaire dès demain.

Dans une lettre précédente, où Kadir évoquait ses conditions de vie, on apprend que sa cellule est sombre et qu’il doit laisser la lumière allumée toute la journée. Il ne paie pas l’électricité pour la lumière mais, en revanche, il paie celle pour la télévision et la théière. Après les grandes chaleurs de l’été, l’hiver arrive. Il fait souvent très froid : “l’encre gèle dans le stylo” et il s’y prépare, entre autres, en faisant des confitures dans la théière, avec des fruits qu’il achète ! Il exprime aussi son inquiétude profonde par rapport à la situation des Kurdes en Turquie : “l’espoir s’est transformé en crainte” mais, citant Pablo Neruda, il ajoute : “Ils couperont toutes les fleurs mais ils n’empêcheront pas le printemps de revenir”.

André Métayer

Kadir apprécie beaucoup de recevoir du courrier : pour toute indication pratique : akbdrk@orange.fr