Depuis des mois, la Turquie avait massé 100 000 hommes aux frontières du Kurdistan irakien. Depuis des mois, l’aviation turque soumet cette région montagneuse à des bombardements intensifs et journaliers au motif qu’elle abrite quelques 4.000 “terroristes”. Après des mois de préparation, 10 000 fantassins appuyés par des véhicules blindés ont, une nouvelle fois, franchi la frontière, au mépris des règles internationales, avec comme objectif de porter “l’estocade finale” contre la rébellion kurde.
Une semaine plus tard, l’armée turque bat brusquement en retraite. Non ! Une armée ne bat jamais en retraite ! Elle opère un repli stratégique en affirmant avoir rempli ses objectifs. Mais quels étaient donc ces objectifs pour qu’ils nécessitent un tel déploiement de moyens et une aide américaine, qualifiée de déterminante, en matière de renseignements donnés “en temps réel”? L’élimination de 240 rebelles? Même ce chiffre, faible au regard des ambitions affichées, est contestable et contesté1. Depuis, la polémique fait rage en Turquie : le chef du parti nationaliste MHP reproche aux militaires d’avoir contribué à renforcer l’image des rebelles en publiant des communiqués les dépeignant comme une force régulière et le général Büyükanit, le chef d’Etat major, est prêt à jeter sa tenue militaire aux orties s’il est dit que son armée a été contrainte de se retirer sur ordre du président Bush. Et la presse turque n’est pas en reste, “que s’est-il passé à la dernière minute?”, se demande le quotidien populaire Aksam et le journal à grand tirage Hürriyet lui répond : “Bush nous a dit de partir”, tandis qu un autre quotidien populaire, Vatan, va jusqu’à qualifier de “dégradant” le repli des troupes turques. L’opération militaire poursuivait-elle d’autres objectifs, comme la main mise sur la cité pétrolifère de Kirkouk, que Washington n’aurait pas approuvés par crainte d’une déstabilisation régionale? On peut le penser.
De leur côté, les combattants kurdes se félicitent d’avoir résisté victorieusement et mis en échec le plan d’invasion ‘turco-américain”. Ils estiment avoir fait un pas vers la reconnaissance internationale comme force armée. Restent pour eux à s’imposer comme interlocuteurs dans des négociations de paix qu’ils appellent de leurs voeux.
D’une façon générale, la solidarité kurde sort renforcée et on signale de nombreuses manifestations kurdes en Turquie (Istanbul, Diyarbakir, Van, Hakkari, Dogubayazit…), mais aussi en Europe (Allemagne, Pays-Bas) et en France (Paris, Rennes, Nantes…) pour exiger la paix et l’ouverture de négociation. Les organisations kurdes en Europe, soutenues par des parlementaires européens ont publié un manifeste “La guerre! Ça suffit Nous voulons la paix” déjà signé par de nombreuses personnalités et organisations, européennes et américaines.
La conférence organisée conjointement, à Bruxelles, par trois principaux groupes politiques du parlement européen, socialistes, libéraux et verts, au sujet de la “Nouvelle civile constitution et la question kurde en Turquie”, à laquelle seul le Parti pour une Société Démocratique (DTP) du Parlement de Turquie a accepté de participer, a reproché au gouvernement turc de maintenir une position non pacifique et insiste sur la nécessité d’entamer un dialogue constructif en vue de réaliser une réforme constitutionnelle “qui aurait un impact sur la solution de la question kurde en Turquie” et le commissaire européen à l’Elargissement, Olli Rehn, a appelé le gouvernement turc, qui, selon lui, a dépensé beaucoup “d’énergie politique” sur la question du voile, “à entreprendre des réformes rapides, principalement pour améliorer la liberté d’expression”.
D’autres voix, en Turquie même, se font également entendre : “si le PKKPartiya Karkerên Kurdistan, Parti des Travailleurs du Kurdistan, fondé en 1978. More peut encore attaquer à partir du territoire irakien, nous devrons alors nous interroger sur l’efficacité même de l’option du tout-militaire”, analyse Cengiz Çandar, dans Referans, “Pour la majorité des Kurdes de Turquie le PKKPartiya Karkerên Kurdistan, Parti des Travailleurs du Kurdistan, fondé en 1978. More reste encore une bonne référence” souligne Ümit Fırat, intellectuel kurde et partisan de longue date d’une solution politique. Une star de la chanson, prenant position contre la guerre, est poursuivie pour avoir brisé “le tabou du sacrifice pour la patrie”. Une partie croissante des élites turques rappelle qu’il est impossible de briser la rébellion kurde sans trouver une solution garantissant plus de droits culturels mais aussi économiques et sociaux à cette population qui représente un cinquième de celle du pays
Une fois encore, la Turquie est à la croisée des chemins.
Paix au Kurdistan
André Métayer