Comme chaque année, les Kurdes tiendront durant trois jours, du 14 au 16 septembre, un stand à la fête de l’Humanité à La Courneuve. Ils présenteront un programme culturel et artistique de qualité, une exposition sur les enfants kurdes emprisonnés. Ils tiendront une librairie avec CD et publications (dont la brochure produite par AKB) et proposeront à la signature une pétition en faveur de la libération d’Abdullah Öcalan et de tous les détenus politiques embastillés en Turquie.
Antoine Laurent et Nicolas Bertrand présenteront leur film “Ez Kurdim” (Je suis Kurde) : c’est avec les visages et les histoires de trois personnages que les auteurs tracent le portrait de tout un peuple, dans toute sa diversité et son unité, son courage et sa soif de victoire.
Un débat (à ne pas manquer) sera organisé le samedi 15 septembre à 17 heures au “village du monde” sur la question terriblement d’actualité : “quel avenir pour les Kurdes de Syrie et de Turquie”. Ce débat sera introduit par le Professeur Pascal Torre que nous avons déjà présenté et qui a bien voulu répondre à nos questions.
La situation des kurdes de Syrie et de Turquie est d’une extrême gravité.
AM – Il n’est pas un seul jour sans que la presse relate des arrestations, des bombardements, des situations de guerre faisant d’innombrables victimes. Avant de parler d’avenir pour les Kurdes, quelle est votre analyse de la situation présente ?
Pascal Torre – En Turquie, le pouvoir islamo-conservateur de l’AKPAdalet ve Kalkınma Partisi (Parti de la Justice et du Développement), parti islamiste aux mains de l’autocrate Erdogan. More d’Erdogan, qui verrouille tout, a engagé contre les Kurdes et les opposants une répression d’une ampleur considérable qui fait dire à bien des observateurs que la situation est pire qu’en 1992-1994. Les arrestations deviennent désormais quotidiennes. Les procès en cours, contre le KCKUnion des Communautés du Kurdistan (Koma Civakên Kurdistan), fédération des organisations kurdes en Turquie. More, des avocats, ou des journalistes des médias kurdes, constituent une atteinte démocratique exceptionnelle. Les prisons débordent de députés, de maires, de syndicalistes, d’étudiants, d’intellectuels, de défenseurs des droits humains. C’est un peuple tout entier qui se sent menacé. Abdullah Öcalan croupit en prison, à l’isolement, sans qu’aucune visite de ses avocats ne lui soit autorisée. L’armée turque bombarde chaque jour les positions du PKKPartiya Karkerên Kurdistan, Parti des Travailleurs du Kurdistan, fondé en 1978. More et les camps de réfugiés du nord de l’Irak. L’escalade de la répression et de la militarisation est devenue la règle et, à l’évidence, il n’y a plus de place pour la négociation.
AM – et en Syrie ?
Pascal Torre – Il faut rappeler tout d’abord que les Kurdes syriens ont été les premières victimes de l’infâme régime de Bachar El Assad, et ce, dans l’indifférence internationale la plus complète. Niés, martyrisés, privés de nationalité, ils ont, dés le début de l’insurrection, participé aux manifestations. Mais, à juste raison, ils refusent de s’enfermer dans une fausse alternative qui constituerait une impasse. Opposition à Bachar El Assad mais aussi inquiétude face à certains objectifs du Conseil National Syrien (CNS) soutenu par la Turquie, le Qatar, l’Arabie Saoudite – qui ne sont pas des modèles de démocratie – et les Etats Unis. Inquiétude d’autant plus vive que la montée du djihadisme et de l’islamisme politique radical apparaissent très présents au sein du CNS.
Quelles solutions politiques d’avenir ?
AM – Il faudra bien, in fine, qu’une solution politique s’impose en Syrie. Quel rôle joue la Turquie ?
Pascal Torre – La Turquie se fait menaçante à la frontière syrienne car elle craint la constitution, à sa porte, d’un territoire administré et géré de manière autonome et démocratique par les Kurdes. La Turquie refuse la décentralisation politique et la reconnaissance de l’identité kurde. Sa politique étrangère est à nouveau alignée sur celle des États-Unis et de l’OTAN, et elle verrait d’un œil favorable l’installation à Damas d’un régime islamisant. Mais, plus globalement, la Turquie s’inscrit désormais dans une alliance belliqueuse qui vise à briser l’alliance entre l’Iran, la Syrie et le HezbollahMilice chiite libanaise, alliée du gouvernement syrien. More. Ces politiques conduisent à une impasse générale. Elles sont à bout de souffle, la crise est désormais régionale et internationale. Les modes de gestion traditionnelles des relations internationales ne peuvent plus contribuer aux réponses nécessaires. On est bien loin des aspirations à la démocratie, à la souveraineté, au développement humain que portent les organisations progressistes kurdes pour en finir avec la guerre.
AM – Quels développements politiques actuels pourraient constituer une solution politique d’avenir ?
Pascal Torre – Sebahat Tuncel, Députée BDP d’Istanbul (ndlr : élue en 2007 alors qu’elle était incarcérée à la prison d’Istanbul, elle fut la plus jeune députée du Parlement de Turquie) sera à La Courneuve samedi prochain et va nous faire vivre le cheminement des Kurdes de Turquie (Kurdistan nord) qui, à travers leurs luttes, dessinent une autonomie démocratique dans un cadre fédéral. Les victoires électorales du BDP ont permis de mettre en place, notamment dans les municipalités qu’ils dirigent, des pratiques démocratiques exemplaires. De plus, fait sans précédent, les combattants du PKKPartiya Karkerên Kurdistan, Parti des Travailleurs du Kurdistan, fondé en 1978. More tiennent sous leur contrôle un territoire de 400 km2, dans la région de Hakkari, esquissant une autonomie de fait. Ils continuent leur progression en direction de la région de Sirnak : Ils viennent de planter leur drapeau sur la colline de Kelaresh, à 1 km de Beytussebap. L’armée a bloqué avec ses chars une délégation d’élus du peuple qui se portaient déjà à leur rencontre.
AM – Et en Syrie, n’assiste-t-on pas à la constitution d’un Kurdistan autonome?
Pascal Torre – En Syrie, le Parti de l’Union Démocratique (PYDParti de l’union démocratique (Partiya Yekîtiya Demokrat), principal parti kurde du Rojava. More) (ndlr : qu’on dit proche du PKKPartiya Karkerên Kurdistan, Parti des Travailleurs du Kurdistan, fondé en 1978. More) contrôle une partie du nord-est, à la frontière turque dans la région de Derik (30Km de Qamishli) mais aussi dans les régions d’Afrin (60 km au nord d’Alep) et de Kobani (Ayn Al-Arab). Un Conseil du Peuple, une organisation de la Justice et une Unité de la Protection civile ont été établis. Les Kurdes ouvrent une troisième option, celle d’une Syrie démocratique et fédérale avec la création d’une région autonome, le Kurdistan Occidental. Le point ce vue de Xalit ISA, Vice président du CNCD (Coordination nationale pour les changements démocratiques en Syrie) et représentant le PYDParti de l’union démocratique (Partiya Yekîtiya Demokrat), principal parti kurde du Rojava. More en France, qui est aussi invité à La Courneuve, est évidemment attendu avec intérêt. Participeront également au débat Sylvie Jean, Responsable du réseau PCF-Kurdistan et Pierre Barbancey, journaliste.
AM – votre conclusion ?
Pascal Torre – L’autonomie démocratique, avec la reconnaissance des droits politiques et culturels peut contribuer, de manière décisive, à être un élément de paix, en Turquie comme en Syrie. Un “modèle” pour tout le Moyen Orient !
André Métayer
Les cartes du Kurdistan nord et du Kurdistan occidental sont extraites du livre ” Kurdistan, La colère d’un peuple sans droits” d’Olivier Piot et de Julien Goldstein, avec l’aimable autorisation des éditions “les petits matins”.