Les heures passées en compagnie de Dilshad Questani avec qui j’ai partagé les permanences qu’il a tenues, entre le 9 et le 13 novembre, au milieu de ses toiles pour échanger avec les visiteurs, ont été un cadeau. D’abord parce que nous avons fait des rencontres magnifiques. Ensuite parce que dans les moments creux, nous parlions.
Les informations annonçant sa venue à Rennes – flyers invitant à visiter son exposition, articles de journaux et émission de radio, correspondances dans les réseaux – ont toutes insisté sur les épisodes d’oppression, de combat comme peshmerga, de demande d’asile, d’acquisition de la nationalité française, qui ont ponctué son itinéraire de migrant. Elles ont trop peu dit sa passion pour la peinture.
Elle le possède depuis son enfance. Plus que de sécurité, plus que de nourriture, ses années de guerre l’en ont privé, ont failli l’en déposséder. Accueilli en France, le métier dont il a immédiatement voulu faire, dont il a, avec obstination, fait son gagne-pain, a été le métier de peintre, d’artiste. Cela n’a pas été facile. Ses premières peintures, il les a réalisées sur du papier, des supports de récupération. Ne parlant pas le français en arrivant à Chaumont, il n’a eu que la langue des couleurs pour communiquer. On la dit universelle. Ce n’est qu’à demi vrai. L’inégal accès à la culture continue à la réserver à un trop petit nombre. Un peintre abstrait se fait encore couramment traiter de barbouilleur. La peinture de Dilshad est abstraite. Sans complaisance, il l’a imposée. Plus sensuellement, plus visiblement que la figurative, la peinture abstraite nous livre la personnalité du peintre, son univers intérieur. Sur les grands formats de Dilshad, l’amplitude des mouvements, le brassage des tons chauds, solaires, de sa palette de rouges, jaunes, oranges, disent son énergie, sa vitalité, sa générosité. Et la réserve de violence qui l’habite. L’homme Dilshad, grand, puissant, rayonnant, est présent. Chaque tableau moins monumental dit le jaillissement, le bouillonnement d’une création toujours reprise, optimiste mais inquiète. La lumière, qui traverse souvent verticalement la toile comme l’éclair, pourrait comme l’éclair disparaître de son ciel. J’ai adopté ce Dilshad gai, aimant et doux, fragile. Il m’est devenu un être très proche.
Le peintre Dilshad Questani lutte avec ses pinceaux, mais il insiste sur une autre réalité. Il est heureux de pouvoir jouir des droits qu’il a acquis ici. Le droit à la liberté, à la paix, à l’amour. Le droit de peindre librement, en paix. Ces droits, il veut que cela se sache, la France lui a permis, lui permet de les exercer. La conquête de ces droits par le peuple kurde était le but de sa lutte armée contre Sadam Hussein. Qu’ils soient aujourd’hui, dans le territoire autonome du Kurdistan irakien, encadrés, limités, dévoyés par le pouvoir et dans l’intérêt de quelques familles, est vécu par lui comme une trahison.
Ces droits, ciment de notre vie culturelle et politique, constitue le cœur de cible que Bachar el-Assad Daech, et tous les totalitaires, et tous les prêcheurs de haine de tout bord, d’Orient et d’Occident, veulent aujourd’hui atteindre et détruire. C’est dans cette actualité que Dilshad peint, que j’écris.
J’adresse un grand merci à tous ceux qui ont permis cette rencontre.
René Péron
“Dilshad, toutes tes peintures sont des poèmes”
“Kobané, à travers ta toile, reste belle, transcendée dans la couleur rouge.
Sirvan ma rivière, en courbes et en creux, collines fleuries, l’écrin discret de l’eau vive en contrebas.
Sanachare, dans le bleu des montagnes sacrifiées et toujours au fond du tableau une empreinte blanche, une lumière timide mais éclairante.
Ma préférée, Kurdistan, où tu réunis l’eau, la terre, le feu, le ciel, paysage orange et bleu, mariage du chaud et du froid, de la légèreté et de l’épaisseur.
Toutes tes peintures sont des poèmes qui disent qu’au-delà de la destruction, du malheur, la paix intérieure reste possible. La tentation d’un équilibre à trouver comme dans les kilims magnifiques des femmes d’Hakkari.
Dilshad Questani, poète peintre de Souleimaniye et du monde. Un homme à la personnalité immédiatement attachante”.
Marie-Brigitte Duigou