“La grève occupe l’essentiel de l’actualité. On n’est peut-être plus très loin d’une issue dramatique (le premier décès d’un détenu), qui pourrait mettre le feu à la rue”. François et Gaël, photographes en repérages à Diyarbakir pour de prochaines activités associatives, accompagnés d’un autre rennais, Eli, musicien, chanteur, compositeur, se trouvent au cœur d’une population en état de choc où la vie, au 46ème jour de la grève de la faim dans les prisons turques, semble s’être arrêtée dans l’attente de la fin de l’Aïd et de la grande manifestation prévue pour le 30 octobre.
Ils témoignent.
Ils ont choisi un endroit qui résonne. Les immeubles de la rue Sanat, dans le quartier rénové d’Ofis, donnent aux chants des manifestants l’écho qui leur manque. Ils sont assis sur des morceaux de cartons et les couvertures de journaux qui, hier, relataient des promesses qui n’ont pas été tenues. Dans les prisons turques, 680 prisonniers kurdes entament leur 46ème jour de grève de la faim. Leurs revendications ne sont pas nouvelles : le droit de se défendre dans leur langue maternelle devant les juges, de meilleures conditions de détention pour Abdullah Öcalan, leur leader historique. Pour le reste, on verra après.
Leurs cellules et leur détermination sont désormais hors d’atteinte de leurs amis de Diyarbakir. Ils iront jusqu’au bout et tout le monde l’a compris. Il est midi et malgré le rassemblement, l’ambiance est feutrée. Les chants sont doux et les slogans s’espacent suffisamment pour laisser la place au silence. Un digne recueillement en réponse à l’important déploiement policier qui ne trouvera pas ici de quoi flouter la frontière entre les mots résistance et terrorisme. Un touriste français qui ne comprend pas la langue pourra tout de même déchiffrer le mot ‘diyalogue’ sur les panneaux de revendications. Pourtant, les motifs d’indignation sont toujours aussi nombreux et chaque jour peut être celui de la mauvaise nouvelle. L’angoisse des regards en témoigne. Les enfants prennent le rassemblement pour un jeu et les pétards qui servent à célébrer l’Aïd sont vite confisqués par les parents. Avec les années, on apprend que l’histoire ne finit pas toujours bien, que le voisin n’a pas toujours pitié, que la matraque du policier ne sert pas qu’en cas de débordements.
Cependant, le ciel n’est jamais complètement bouché et la parole du peuple kurde se doit de rester audible. Quitte à ne chanter qu’une minute sur deux. Quitte à remplacer le mégaphone par des parois d’immeubles lavés par la pluie. Quitte à ce que l’on n’entende pas tout. Un petit peu, c’est déjà un début.
Diyarbakir, samedi 27 octobre 2012
Texte d’Elie Guillou – Photo : G. Le Ny