Emine Ayna, Députée de Diyarbakir rencontrée à Paris le 13 septembre dernier, est une parlementaire expérimentée qui ne craint pas l’affrontement. Née à Diyarbakir en 1968 dans une famille militante, elle était étudiante à Adana quand elle fut arrêtée en 1987 lors d’une manifestation interdite et incarcérée durant 6 mois. Elle a créé en 2002 une association à caractère social, “Arc-en-ciel”, pour aider les femmes en difficulté. Elle a participé en 2005 à la création du parti pro-kurde DTP (Parti pour une Société démocratique) dont elle est devenue co-présidente en 2008. Elue députée de Mardin en 2007, elle a rejoint en 2009 le BDP (Parti pour la Paix et la Démocratie) qui a pris le relais du DTP à la suite de sa dissolution. Elle a été condamnée en juin 2011, bien que couverte par l’immunité parlementaire, à une peine de 10 mois d’emprisonnement par la Haute Cour criminelle de Diyarbakir pour faits remontant à 2007 de “propagande au profit d’une organisation illégale” comme il est dit dans l’article 7 / 2 de la loi anti-terreur. Emine Ayna, et ses 31 co-accusées, qui ont refusé de se présenter à l’audience, se voient reprocher d’avoir transformé la célébration du NewrozNouvel an kurde (21 mars). More, à Siirt, en une fête de propagande pour le PKKPartiya Karkerên Kurdistan, Parti des Travailleurs du Kurdistan, fondé en 1978. More, “en confectionnant des pièces de tissu qui comportaient des symboles de l’organisation terroriste et en dépliant des affiches à l’effigie des dirigeants de l’organisation”.
Emine Ayna risque donc à tout moment d’être interpellée mais n’en a cure. Elle est connue pour son franc-parler et son courage. Les medias n’ont pas manqué de relever quelques phrases choc, lors de la campagne électorale :
Nous voulons un règlement politique. Mieux, nous voulons entraîner le PKKPartiya Karkerên Kurdistan, Parti des Travailleurs du Kurdistan, fondé en 1978. More dans l’arène politique, il faut sortir de prison le leader du mouvement, Abdullah Öcalan. Réélue, elle s’écrie au milieu de ses électeurs : “nous sommes à un point de non retour… Notre peuple a surmonté sa peur”. Lors du procès des “151” à Diyarbakir en octobre 2010, elle avait interpellé durement le tribunal qui interdisait aux prévenus et aux avocats de s’exprimer en kurde : qualifier la langue kurde de “langue inconnue” est une insulte au peuple kurde et j’appelle tous les Kurdes à adresser une protestation à l’Etat turc.
Interrogée sur la situation actuelle, Emine Ayna s’est montrée très offensive : elle a qualifié RT Erdogan d’autocrate concentrant en ses mains tous les pouvoirs (armée, police, justice), remplaçant les fonctionnaires kémalistes par des islamistes qui avaient été écartés pour “fondamentalisme” : pour Erdogan,
le Fondamentalisme religieux n’est pas un danger pour la Turquie, le seul danger, pour lui, ce sont les Kurdes. Avec Erdogan, il n’y a aucun espoir de dialogue. Les députés du BDP qui n’attendent rien des pseudo-réformes constitutionnelles vont-ils boycotter le Parlement dont la prochaine séance est prévue le 1er octobre? Les motifs ne manquent pas : en 1987, j’avais été condamnée à 6 mois de prison pour avoir manifesté en faveur de la langue kurde et les démocraties européennes avaient protesté parce que j’avais été jugée par un tribunal militaire. En 2009, des étudiants de l’université de Dicle (Diyarbakir) ont été arrêtés au cours d’une manifestation identique et sont toujours détenus. Onze d’entre eux ont été condamnés à 32 ans de prison par un tribunal civil. L’Europe se tait. Cherchez l’erreur.
Trois mois après les élections, la mobilisation populaire ne faiblit pas, même si les medias, notamment européens, n’en parlent pas, ce que regrette vivement Emine Ayna :
quand 5 000 manifestants se réunissent au Caire, place Tahrir, la presse internationale en fait la une mais ne dit mot quand 1 000 000 Kurdes manifestent à Diyarbakir.
André Métayer