Jean Claude Riou, Vice Président des Amitiés kurdes de Bretagne, a conduit au Kurdistan de Turquie, au moment des fêtes du NewrozNouvel an kurde (21 mars). More (nouvel an kurde), une délégation qui a été reçue, à cette occasion, le 23 mars dernier, par Osman Baydemir, Maire de Diyarbakir, Ville métropolitaine de 1 500 000 habitants, et Président du GABB (Union des mairies du Sud Est Anatolien). Il était porteur d’un message d’amitié et de solidarité de Daniel Delaveau, maire de Rennes et président de Rennes Métropole ; une longue histoire lie depuis 1977 les villes de Rennes et de Diyarbakir.
Entretien
André Métayer Osman Baydemir vous a reçu quatre jours après la découverte d’une tentative d’attentat, la quatrième en 3 ans, dirigée contre lui.
Jean Claude Riou Il n’en a pas été question mais il est vrai qu’Osman Baydemir paraissait, sous ses airs affables, très préoccupé ; disons qu’il nous a reçu très, très chaleureusement, près d’une heure d’un emploi du temps extrêmement chargé et dans ce contexte particulier que nous ne soupçonnions pas ; il nous a beaucoup remercié pour l’ensemble des actions menées en faveur de la cause kurde, notamment pour celles visant à informer les élus français en vue d’une mobilisation pour la défense des élus kurdes injustement emprisonnés.
AM Cette question semble être au cœur de la bataille politique.
JCR La perception de la question kurde par le gouvernement turc s’est traduite par l’arrestation des élus et des responsables politiques du DTP : plus de 1500 personnes depuis un an et plus largement par la garde à vue de plus de 5000 personnes durant cette même période : interpellations et mises en détention de maires, d’élus locaux, de cadres administratifs, de militants politiques et associatifs, d’avocats, de journalistes, de femmes, d’adolescents et d’enfants.
Osman Baydemir s’était déjà exprimé fermement : “Depuis un an, on ne peut plus rien produire. Il y a une rafle tous les 10 jours, un jour c’est mon directeur général que l’on arrête, un autre jour, c’est mon secrétaire général, puis mon premier adjoint, demain ce sera un autre. Que cherchent-ils ? Qu’ils nous arrêtent tous et qu’ils prennent la ville!”
Il nous a beaucoup parlé du harcèlement judiciaire dont il est l’objet en permanence. Arrêté, il est interrogé pendant plus de cinq heures, sur, par exemple, la raison du choix de son avocat qui se trouve par ailleurs responsable de IHD[[Iran Yusuf Alatas de l’association des droits de l’homme de Turquie (IHD) a été élu vice président de la FIDH (Fédération internationale des ligues des droits de l’homme), lors de son 37ème Congrès mondial qui s’est tenu à Erevan, les 8, 9 et 10 avril 2010.]]; sa réponse fuse comme à l’interrogatoire : “j’ai le libre arbitre quant au choix d’un avocat sans en avoir à rendre compte à quiconque.”
AM Et il est depuis assigné à résidence avec interdiction de quitter le territoire.
JCR Non sans avoir auparavant tenu tête au procureur quand il a été interrogé sur la gestion de la ville de Diyarbakir : “en tant que maire légalement élu, je n’ai de compte à rendre sur mes projets qu’à la population”. Rappelons qu’il a obtenu 66% des voix aux dernières élections municipales. “Quelle serait la réaction de la population française ou britannique si un maire élu avec 66% des voix était emprisonné?” nous a-t-il glissé au détours d’une phrase accompagnée d’un geste de la main significatif.
AM Découragé Osman Baydemir ?
JCR Oh non ! il a voulu nous faire toucher du doigt cette extraordinaire entreprise du pouvoir turc visant à détruire toute la vie sociale locale et régionale, celle qui est organisée par le parti pro kurde, le “Parti pour une Société démocratique”, le DTP : ” on assassine la démocratie locale dans l’indifférence internationale” a-t-il ajouté.
AM Mais que font les organisations internationales de villes comme Cités et Gouvernements Locaux Unis (CGLU) qui est la principale organisation mondiale de villes et dont des villes commes Rennes et Diyarbakir sont adhérentes?
JCR Osman Baydemir qui est, en tant que maire métropolitain Diyarbakir, membre du Bureau exécutif de cette organisation mondiale et vice président de la Commission CGLU sur “la Diplomatie des Villes, renforcement de la paix et droits de l’homme”[[Le groupe de travail qui dirige cette commission est composé de : M. Jozias van Aartsen, Maire de La Haye – Président de la Commission sur la Diplomatie des Villes, la Paix et les Droits de l’homme, M. Osman Baydemir, Maire métropolitain de Diyarbakir, Turquie, M. Alonso Salazar, Maire de Medellin, Colombie, M. Giulio Cozzari, Président de la Province de Pérouse et Président de la Coordination italienne des Autorités locales pour la Paix et les Droits de l’homme, Italie.]], ne comprend pas le silence “assourdissant” de cette institution qui se targue pourtant de défendre les principes de la démocratie et de l’autonomie locale. De même il est indigné par le manque de réaction du Conseil de l’Europe alors que Mme Leyla Güven est membre titulaire du “Congrès des Pouvoirs Locaux et Régionaux”, instance représentative des collectivités territoriales au Conseil de l’Europe.
AM Qui est Mme Leyla Güven?
JCR Mme Leyla Güven a succédé à notre ami Emrullah Cin (appelé à d’autres fonctions dans le cadre du DTP) comme maire de VIRANSEHIR ; ils ont été tous les deux interpellés et mis en détention
AM Osman Baydemir souhaite-t-il une intervention française tant auprès du Conseil de l’Europe que du CGLU?
JCR Oui et non! Oui, bien sûr, car ces institutions se doivent de renforcer les forces locales face au pouvoir central, mais, gangrénées par tous les lobbies et les tractations de couloir, elles se sont montrées incapables de défendre leurs propres membres : pire, elles n’ont eu aucune réaction face aux arrestations massives d’élus locaux qui se sont déroulées au grand jour, en Turquie, depuis avril 2009. Nous avons senti chez Osman Baydemir une certaine amertume, mais il en faut plus pour le décourager.
AM Alors? Des propositions?
JCR Osman Baydemir souhaiterait associer les ONG qui défendent les droits des Kurdes à un réseau de solidarité de maires ; il souhaite, en effet, que se réunissent les maires qui ont, à travers le monde, manifesté leur préoccupation de voir la démocratie locale bafouée à ce point en Turquie, pays qui prétend vouloir respecter les critères dits de “Copenhague, et en soumet l’idée à son collègue Daniel Delaveau, maire de Rennes, en réponse au message de sympathie qu’il lui a adressé.
Rennes le 5 mai 2010
Dernière minute : M. Daniel Delaveau, maire de Rennes, a promis, lors de l’entretien qu’il a accordé, ce jour 6 mai, à André Métayer et Jean Claude Riou, Président et V/Président de AKB, d’étudier la proposition de son collègue maire de Diyarbakir, Osman Baydemir ; il envisage même de se rendre à Diyarbakir dans les prochains mois.