Eren Keskin, avocate turque, lauréate du Prix de la Paix d’Aix-la-Chapelle pour son combat en faveur des droits humains, a été condamnée le 12 décembre 2014 à 10 mois de prison pour insulte à la nation turque. L’affaire avait été introduite le 4 novembre 2011 par le ministère de la Justice, autorisant l’ouverture d’une enquête sur le fondement du très conversé article 301 du Code pénal turc stipulant que le dénigrement public de la nation turque, de l’Etat, de la République turque, du Parlement, de l’armée, de la police, de la justice, sera puni de six mois à deux ans d’emprisonnement. Des personnalités connues comme Orhan Pamuk, prix Nobel de littérature et Hrant Dink, journaliste arménien assassiné en 2007, ainsi que des milliers d’inconnus, ont été par le passé poursuivis au titre de cet article 301.
« Tout est vrai »
Eren Keskin est venue à Rennes en mars 2009 présenter son livre “Hepsi Gerçek” (Tout est vrai), un réquisitoire sévère contre l’Etat turc, accusé de faire de la torture, du harcèlement sexuel et du viol une arme pour humilier la victime, la forcer à avouer même les crimes qu’elle n’a pas commis, à dénoncer les personnes présentées comme des “terroristes”, même celles appartenant à sa propre famille et à collaborer aux actions de”basses œuvres de la contre-guérilla. Elle a, dans la cadre de la journée internationale, donné une conférence très remarquée à la Maison des associations sur le thème « Femmes et liberté de pensée en Turquie ». Elle a été reçue par le maire de Rennes, Daniel Delaveau et Jocelyne Bougeard, adjointe déléguée aux droits de la femme, aujourd’hui adjointe chargées de l’international).
“Une sale histoire”
La justice reproche à cette ancienne présidente de la section d’Istanbul de l’association turque des droits de l’homme (IHD) d’avoir évoqué, lors d’une conférence donnée il y a dix ans à Çerkezköy (province de Tekirdağ dans la région de Marmara), l’exécution extra judiciaire d’un père et de son fils et d’avoir qualifié cet acte, condamné depuis par la Cour européenne des droits de l’homme, de “sale histoire ” révélant “un état d’esprit sauvage qui permet à l’Etat turc de tuer un enfant de douze ans”. En novembre 2004, dans le village de Qoser (région de Mardin), Ahmet Kaymaz (31 ans) et son fils Ugur Kaymaz (12 ans) ont été tués par les forces de sécurité turques sur le pas de leur maison. L’armée a invoqué alors une opération anti-terroriste, Ahmet Kaymaz étant connu comme un membre du parti kurde légal (Parti de la démocratie du peuple) et sa famille étant connue pour avoir refusé de devenir gardiens de village (forces supplétives de l’armée turque). Cette exécution et l’acquittement des tueurs par les différentes juridictions turques avaient suscité une grande émotion au Kurdistan.
L’acharnement de l’Etat turc
On aurait pu penser que les choses iraient vers l’apaisement, au vu d’une situation internationale, des plus compliquées, notamment au Moyen Orient, avec la guerre déclarée contre le prétendu « Etat islamique ». Que nenni ! La répression continue sous l’ère Erdogan. Comme pour Pinar Selek, dont le procès est pour la énième fois relancé par un appel du procureur, l’acharnement contre Eren Keskin est manifeste. Le juge ne s’est pas contenté de condamner, dix ans après les faits, l’avocate à dix mois d’emprisonnement, mais il lui a refusé le sursis au motif fallacieux qu’elle avait un casier judiciaire, “un mauvais dossier”. Eren Keskin, s’adressant à la presse, a tenu à mettre les choses au point :
mauvais dossier, casier judiciaire, sont des expressions utilisées pour les affaires criminelles graves. Moi, je suis militante des droits de l’homme et avocate. Ce verdict arrive après les déclarations du gouvernement comme quoi plus personne ne se trouve en prison pour délit d’opinion. Décidément, il n’y a rien de changé en Turquie.
André Métayer