Le Conseil constitutionnel a donc retoqué la loi votée par les deux chambres du Parlement français qui prévoyait un an d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende pour toute personne niant un génocide reconnu par la loi.
« Le Conseil a jugé qu’en réprimant la contestation de l’existence et de la qualification juridique de crimes qu’il aurait lui-même reconnus et qualifiés comme tels, le législateur a porté une atteinte inconstitutionnelle à l’exercice de la liberté d’expression et de communication. » (communiqué)
aux débats d’idées
L’honnêteté, la bonne foi, le sérieux étaient sur tous les bancs et le débat a fait honneur aux deux assemblées. Personne n’a voulu nier, ni même relativiser l’ampleur du génocide arménien. Des arguments ont été échangés pour savoir si, dans cette loi, les atteintes portées à l’exercice de la liberté d’expression, qui est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés, étaient nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi. Le Conseil constitutionnel a tranché : la défense de la liberté d’expression et de communication a donc primé sur toute autre considération. Dont acte, mais nos amis arméniens n’ont pas apprécié et comptent bien saisir la Cour européenne des Droits de l’Homme. L’affaire n’est pas close puisque les deux principaux candidats à la présidence française se sont engagés à reparler de ce projet de loi après les élections.
aux dérapages verbaux
Il est dommage que la sénatrice Nathalie Goulet aitAntifascist Internationalist Tabur, brigade internationale opérant au Rojava. More cru bon de se féliciter de voir “ce texte purement électoraliste évacué de notre arsenal législatif” (Ouest-France du 29/02/12). A ce petit jeu-là, on peut penser que cette déclaration n’est peut-être pas non plus exempte d’arrière-pensées politiques. Regrettable aussi la phrase du député d’Ille-et-Vilaine Jean Michel Boucheron, président de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, qualifiant la Turquie de “pays laïc qui peut porter les espérances d’un islam moderne” (Ouest-France du 29/02/12), au moment où l’AKPAdalet ve Kalkınma Partisi (Parti de la Justice et du Développement), parti islamiste aux mains de l’autocrate Erdogan. More islamo-conservateur au pouvoir est en train de réformer le système scolaire au profit d’une islamisation rampante. Cette réforme très controversée permettra notamment la réouverture, au niveau élémentaire, des classes İmam Hatip Lisesi, qui étaient jusqu’à lors des lycées de prédicateurs destinés à la formation des imams. Nul ne peut ignorer non plus la politique liberticide menée en Turquie : à partir de quel nombre de détenus politiques on reconnaît une dictature? 100 000? 10 000? Attention, on a dépassé le chiffre des 6 000 détenus politiques et la répression continue : le 9 mars dernier, 20 responsables du principal parti kurde BDP et une journaliste étaient interpelés à Adana et mis en détention, ce qui porte à 106 le nombre de journalistes emprisonnés.
au meeting de la place Taksim
La décision du Conseil constitutionnel ne sera pas non plus sans conséquence en Turquie. N’a-t-on pas vu, deux jours avant sa diffusion, le ministre de l’Intérieur Idris Sahin présidant un meeting au cours duquel plus de dix mille manifestants ont, selon le journal libéral turc Taraf, scandé des slogans hostiles aux Arméniens “il n’y a jamais eu de génocide arménien en Turquie, aucun Arménien n’a été lésé, on brisera la tête de celui qui prétend le contraire” ou encore “vous tous, les Arméniens, vous êtes tous des bâtards”. Ahmet Insel, intellectuel turc connu pour ses prises de positions courageuses, s’en est inquiété dans le journal Radikal :
Dans notre pays où la démocratie n’est pas encore la norme, on constate la permanence des réflexes nationalistes et autoritaires. Le ministre de l’Intérieur, Idris Sahin, en est la parfaite illustration. En voyant le prototype de monde turc proposé à ce moment-là sur la place Taksim, on avait tout de même du mal à croire qu’il puisse apporter au monde la paix, l’humanité et la justice.
André Métayer