Le livre intitulé “Hepsi Gerçek” (tout est vrai) écrit par Eren Keskin, avocate kurde, est un réquisitoire sévère contre l’Etat turc accusé de faire de la torture, du harcèlement sexuel et du viol une arme pour humilier la victime, la forcer à avouer même les crimes qu’elle n’a pas commis, à dénoncer les personnes présentées comme des “terroristes”, même celles appartenant à sa propre famille, et à collaborer aux actions de “basses œuvres” de la contre guérilla.
“Tout est vrai”
Eren Keskin a osé parler sans tabous de choses que, par pudeur, les femmes n’osent aborder, même dans le cercle familial.
A Ahmet (nom d’emprunt), un ami kurde très proche qui avait fait venir à Rennes sa sœur en état de véritable détresse psychologique, après avoir purgée une peine de plusieurs années de détention, précédées d’un certains nombre d’arrestations, de gardes à vue et de harcèlements de toutes sortes, j’avais posé, naguère, la question : ” ta sœur a-t-elle été violée?” –”C’est une question que je n’ai jamais osé lui poser” m’avait répondu cet homme, père de famille, chef d’entreprise, ce frère protecteur qui l’a entourée de toute son affection et qui, avec l’équipe médicale de l’hôpital psychiatrique, lui a rendu la raison et la raison de vivre.
Cette question qu’Ahmet ne pouvait poser à sa sœur, Eren Keskin a osé l’exposer publiquement à Rennes, ce mardi 10 mars, devant un auditoire, se pressant dans une salle comble, composé d’une majorité d’hommes et de femmes kurdes dans un silence impressionnant. Le public français, présent également, était aussi sans voix tant il est, pour lui, inconcevable que de telles pratiques soient encore employées, mais il lui parait encore plus inconcevable qu’une femme, comme le relate Eren Keskin, libérée “faute de preuve” après avoir été violée pendant 66 jours dans les commissariats de Silopi, puisse renoncer à porter plainte au motif qu’elle “ne peut pas faire de la peine à son père” !
Eren Keskin a côtoyé de près la détresse morale de ces femmes lors d’un séjour en prison, en 1995, où elle purgeait une peine de 6 mois de détention pour avoir écrit le mot “KURDISTAN” dans l’un de ces discours qu’elle fut empêchée de prononcer devant le parlement français mais dont elle avait fait parvenir le texte.
Pour venir en aide à ces femmes, et en premier lieu, briser cette “omerta”, fruit d’une civilisation féodale qui tolère mariages forcés, crimes d’honneur, harcèlements sexuels, viols de femmes mais aussi traitements discriminatoires et dégradants envers les homosexuels et les transsexuels, Eren Keskin, cette ancienne présidente de l’association turque des droits de l’homme (IHD, affiliée à l’organisation internationale F.I.D.H.) a fondé alors le “Bureau d’aide juridique contre les agressions sexuelles et viols en garde à vue” ; en dix ans c’est plus de 300 femmes qui ont été défendues gratuitement jusque devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Nous avons aussi évoqué avec Eren Keskin l’univers carcéral en Turquie, et ses tristement célèbres prisons de type F où croupit , depuis un an, Kadir, notre ami “kurde breton” injustement poursuivi pour des “crimes ” qu’il n’a pas commis
Daniel Delaveau, maire de Rennes, a tenu à recevoir Eren Keskin, cette militante de la cause kurde depuis ses années de lycée, et à saluer celle qui obtint en 2004 le “Prix de la Paix d’Aix-la-Chapelle” pour son combat en faveur des droits humains, celle qui est régulièrement pris à partie dans les médias turcs et menacée de représailles, celle qui doit faire face à pas moins de 21 procédures judiciaires et qui doit écourter son séjour à Rennes, convoquée, aujourd’hui même, pour la énième fois, devant une des Cours de Justice d’Istanbul.
Dans son livre-témoignage de 500 pages, qui mériterait d’être édité en français (appel est lancé) Eren Keskin raconte, sans tabous, les faits, publie les plaintes déposées et, en fac-simile, les réponses reçues des autorités judiciaires et politiques ! Edifiant !
Rennes le 12 mars 2009
André Métayer
Photo Gaël Le Ny