L’Association iséroise des Amis des Kurdes (AIAK) avait envoyé une délégation en Turquie pour observer les élections législatives qui se sont déroulées le 12 juin dernier. Les membres de cette délégation, qui se sont rendus dans la région kurde d’Igdir, munis de leur badge “superviseurs de votes “, ont observé le déroulement des opérations de vote dans la ville d’Igdir mais aussi dans les villages de Godekli, Aratan, Hasanhan, Yukari Camurlu et Asagi Camura. Ils sont rentrés de leur mission très choqués par les constats qu’ils ont pu établir et les témoignages qu’ils ont pu recueillir :
La répression est tellement importante que nous ne pouvons pas, en Europe, imaginer que les choses puissent se passer ainsi… Il faut aller dans ce pays pour voir exactement ce qu’il se passe. Notre présence est indispensable et désirée, surtout au moment des élections. Date est prise pour les élections municipales dans trois ans. Il faut que ces actions continuent. Notre contribution ne fait que commencer. Et la présidente de lancer un appel : Nous invitons toutes les personnes à rejoindre notre association AIAK pour défendre les droits des Kurdes.
Les élections ont été dans cette région un combat féroce entre MHP (extrême-droite nationaliste), BDP (parti – pro kurde – pour la Paix et la Démocratie) et AKPAdalet ve Kalkınma Partisi (Parti de la Justice et du Développement), parti islamiste aux mains de l’autocrate Erdogan. More (parti islamo-conservateur). Les candidats MHP et BDP ont été élus avec respectivement 36% et 30% des votants, le candidat AKPAdalet ve Kalkınma Partisi (Parti de la Justice et du Développement), parti islamiste aux mains de l’autocrate Erdogan. More arrivant à 28% et celui du CHPParti républicain du Peuple (Cumhuriyet Halk Partisi), parti kémaliste et nationaliste de centre-gauche. More ne faisant que 2%.
IGDIR : la candidate Pervin Buldan est élue, pour la 2ème fois, avec 24 676 voix
Pas facile pour une femme d’être candidate à Igdir ! La mairie, tenue depuis 1999 par le MHP, a été remportée par le parti pro-kurde (DTP/BDP) en 2009, mais le maire, Mehmet Nuri GÜNES, a été arrêté le 22 janvier dernier avec 60 autres personnes et écroué : il fait partie du procès de Diyarbakir intenté à 150 élus et cadres politiques et associatifs. Pour autant, Pervin Buldan, présentée par le BDP, a été réélue pour 4 ans. Son histoire force le respect : née en 1967 à Hakkari, Pervin Buldan s’est retrouvée veuve à 27 ans. Son mari, Savas Buldan, soupçonné de financer le PKKPartiya Karkerên Kurdistan, Parti des Travailleurs du Kurdistan, fondé en 1978. More, a été enlevé le 3 juin 1994, avec deux de ses amis. On a retrouvé leurs cadavres le lendemain, au bord d’une rivière. Le même jour, Pervin a donné naissance à son deuxième enfant et s’est engagée dans la politique. Membre fondatrice de YAKAY-DER (Association d’Aide et de Soutien aux Proches des Disparus), elle en est la présidente de 2001 à 2007. Son nom est avancé pour une éventuelle candidature au prix Nobel de la Paix. Elue députée d’Igdir en 2007 avec 17 500 voix, elle est réélue le 12 juin avec 24 676 voix, et ce malgré les fraudes électorales que dénonce la délégation iséroise, à partir de ses observations dans différents bureaux de vote d’Igdir et de cinq villages considérés comme les plus sensibles, dans un long rapport dont nous publions ici de courts extraits.
Village de GODEKLI : 6 bureaux de vote et 1 244 votants
Godekli, c’est le village qui a le plus grand nombre de résistants tombés martyrs. Dès notre arrivée, nous constatons que le président du bureau de vote est devant l’isoloir et indique aux électeurs avec son doigt le choix qu’ils doivent faire (il montre le sigle de l’AKPAdalet ve Kalkınma Partisi (Parti de la Justice et du Développement), parti islamiste aux mains de l’autocrate Erdogan. More). Nous intervenons pour exiger qu’il reprenne sa place derrière le bureau de vote. (Le code électoral est ambigu car il précise que le président du bureau de vote peut aider les personnes en difficultés et illettrées, mais cette disposition du code ne lui donne pas le droit d’influencer les électeurs et de faire pression sur eux). Le ton monte et le président fait appel aux juges de la Haute Commission des élections qui arrivent illico. Aux menaces, nous répondons que nous sommes mandatés pour surveiller le bon déroulement des élections et qu’en conséquence nous ne bougerons pas. Après une vive discussion, ils nous intiment l’ordre d’aller nous asseoir et de nous taire. Nous obtempérons en exigeant que le président en fasse de même.
Village d’ARATAN
En entrant dans un des bureaux d’Aratan, nous constatons la présence d’un militaire en arme, ce qui est illégal. La présence des militaires et de la police est légale à l’extérieur des bureaux de vote à une distance d’au moins 15 m. Nous lui demandons de sortir. Le président du bureau de vote intervient, prétextant des problèmes et argue de son droit de faire appel dans ce cas à l’armée. Pour autant, il refuse de s’expliquer sur ces prétendus problèmes, manifestement imaginaires, pouvant troubler l’ordre public. Nous constatons qu’il n’y a pas de problème. Le militaire nous menace de nous mettre en garde à vue et de nous faire expulser. Devant l’échec de son entreprise d’intimidation, il annonce qu’il va en référer auprès des “plus hautes instances du Pays ” pour faire vérifier l’authenticité de notre mandat. Il sort donc pour téléphoner et n’est jamais revenu.
Haute Commission des élections
Ce lieu est très surveillé par la police. Nous avons pu entrer grâce à nos badges. L’assemblée est constituée de deux juges, d’une assemblée d’avocats et de délégués des partis. Chaque délégué de chaque bureau a pour mission de surveiller et de suivre les véhicules qui livrent les sacs à la Haute Commission des élections. Les délégués ont le sourire : il n’y a pas eu de vol de sacs. En route vers le centre ville pour rejoindre la foule réunie devant le siège du BDP. Pervin Buldan invite la délégation à monter à la tribune. La TV turque filme. Remerciements, applaudissements, et la foule se met en marche, députée en tête, pour se rendre, malgré les tentatives de la police pour lui barrer la route, vers le chapiteau de la désobéissance civile, maintes fois détruit par les forces de l’ordre et toujours reconstruit (dix fois depuis le lancement de cette campagne). Beaucoup de personnes sont venues nous saluer et nous dire de revenir. D’autres, notre chauffeur notamment, nous ont confié leur histoire, les arrestations, la torture, la prison, les rats, les grèves de la faim : il nous relate ces faits comme s’il parlait d’un fait divers, comme s’il s’agissait d’une autre personne.
Propos recueillis par André Métayer
Signez, faites signer la pétition : “oui à une solution politique à la question kurde en Turquie“