Il n’est pas interdit de souhaiter un monde meilleur, ni d’essayer d’y apporter sa part

La tradition est de présenter ses vœux à l’aube de la nouvelle année, vœux de santé, de bonheur, de réussite quelles que soient les circonstances, un moment d’abstraction pour oublier les accidents de la vie, un moment d’effusion aussi, plein d’affection et de sincérité. Il n’est pas non plus interdit de se souhaiter un monde meilleur, ni de prendre de bonnes résolutions comme d’essayer d’y apporter sa part.

Ces vœux ne peuvent nous faire oublier le drame qui se joue au Moyen-Orient dans lequel nos amis kurdes sont en première ligne. L’année 2018 s’est achevée sur une bien triste note : les grèves de la faim – cris de désespoir et actions de lutte – et les menaces d’invasion du Rojava par les armées du dictateur Erdoğan. La déclaration fracassante du président américain Donald Trump le 19 décembre, retirant les forces américaines de Syrie, a été reçue comme une trahison par les Kurdes, mais pas seulement : elle a choqué toute la communauté internationale, hormis la Turquie qui ne s’attendait pas à un tel cadeau.

Le pire n’est pas certain

Si la situation est devenue terriblement inquiétante, tant pour les Kurdes en Turquie qu’au Rojava, sans oublier ceux d’Iran, la déclaration insensée de Trump, qui doit aujourd’hui faire face à la Chambre des représentants dont la présidente démocrate, nouvellement élue, lui est particulièrement hostile, n’a pas été particulièrement appréciée. L’impulsivité trumpiste a entrainé la démission du chef du Pentagone, Jim Mattis, qui incarnait une forme de stabilité : “mes points de vue sur le respect dus à nos alliés et sur la nécessité d’être lucide, devant des acteurs néfastes et des concurrents stratégiques, proviennent de quarante ans d’immersion dans ces problématiques”. C’est véritablement un camouflet pour un président de plus en plus isolé sur la scène internationale. Obligé de faire un pas de côté, il envoie dire par le Département d’Etat que les États-Unis veilleront à ce qu’un vide ne soit pas créé en Syrie après le retrait de leurs troupes de ce pays : “nous n’avons aucun délai pour le retrait de nos troupes de Syrie. Le Président a pris la décision de retirer nos militaires, mais cela sera fait d’une manière pesée et en étroite coordination avec nos alliés et partenaires”.

Les militaires américains savent en effet ce qu’ils doivent aux FDS (Forces démocratiques syriennes, composée de combattant·e·s kurdes et arabes) et notamment aux YPG kurdes (Unités de Protection du Peuple) soutenues et armées jusqu’à présent par l’armée américaine, toujours en première ligne contre les djihadistes de l’organisation État islamique (EI).

La priorité de la France en Syrie est la lutte contre le terrorisme

La décision trumpiste complique aussi la position française : ce sont quelques 200 militaires des forces spéciales qui sont déployés dans le nord de la Syrie et en tout 1 200 militaires qui sont présents au sein de la coalition au Moyen-Orient. Par un communiqué de l’Elysée, nous apprenons que le Président de la République s’est entretenu avec son homologue russe et que la discussion a porté sur les crises en Syrie et en Ukraine. En ce qui concerne la Syrie, il est notamment rappelé la nécessité de reconnaitre les droits des populations locales et de faire en sorte que les forces alliées de la coalition, notamment kurdes, soient préservées :

le Président de la République a rappelé que la priorité de la France en Syrie est la lutte contre le terrorisme, afin d’éradiquer Daech et de contrer toute résurgence du terrorisme dans la région. Ce combat n’est pas terminé et se poursuit sur le terrain dans le cadre de la coalition internationale. Il a souligné la nécessité d’éviter toute nouvelle déstabilisation susceptible de faire le jeu des terroristes. Il a également insisté sur la nécessité que soient reconnus les droits des populations locales et que les forces alliées de la coalition, notamment kurdes, soient préservées, compte tenu de leur engagement constant dans la lutte contre le terrorisme islamiste. Il a également rappelé la nécessité que les engagements pris lors du Sommet d’Istanbul le 27 octobre dernier pour permettre un maintien durable de la cessation des hostilités à Idlib soient strictement respectés. Le Président de la République a souligné que la France restait plus que jamais engagée en faveur d’un règlement politique de la crise syrienne dans le cadre de la résolution 2254 du Conseil de sécurité des Nations unies, seule voie possible de la stabilité, de la protection des populations civiles et de la paix. Il a insisté à cet égard sur l’impérieuse nécessité que l’ensemble des puissances concernées prennent toutes leurs responsabilités pour permettre un processus constitutionnel crédible et des élections libres et impartiales, sous supervision des Nations Unies.

Nous avons ici suffisamment critiqué la position française sur cette question kurde pour ne pas souligner cette avancée, même s’il reste encore un long chemin à faire.

9 janvier 2013 : qui a osé assassiner Rojbîn ?

Le 9 janvier 2019 sera le sixième triste anniversaire de l’assassinat en plein Paris, par les services secrets turcs, de Sakine Cansiz, Fidan Dogan (Rojbîn) et Leyla Saylemez, trois militantes kurdes. Nous attendons toujours que la France prenne ses responsabilités et demande des comptes à la Turquie. L’un des signes tangibles d’un infléchissement de la politique élyséenne serait que la présidence de la République reçoive les familles des victimes et leurs avocats. Ce geste, nous l’attendons depuis 6 ans. Un appel à manifester samedi 12 janvier 2019 à Paris – 10h30 devant la Gare du Nord – est lancé par le Conseil démocratique kurde en France (CDK-F), appel que nous soutenons :

de nombreux indices révélés par l’enquête font apparaître que le meurtrier présumé, Ömer Güney, arrêté quelques jours après les meurtres, avait agi pour le compte des services secrets turcs (MIT), comme le confirme le réquisitoire du Procureur de la République dans cette affaire : de nombreux éléments de la procédure permettent de suspecter l’implication du MIT dans l’instigation et la préparation des assassinats.

CDKF-AppelManif-2019-01-12

Avec toutes les organisations signataires, nous déclarons haut et fort que notre détermination est intacte et que nous exigeons que toute la lumière soit faite sur ces assassinats.

André Métayer