Invité à participer à la Manifestation Internationale de Solidarité organisée, à Rennes, les 14/15 novembre par la Maison internationale, Eyyup Faruk Doru s’est souvenu que de nombreux élus politiques et associatifs de Bretagne l’avaient soutenu, lors de son procès en Espagne, et les remercia chaleureusement.
Occasion fut donc donnée de rappeler brièvement les faits : l’interpellation de Eyyup Faruk Doru le 26 mars 2009 à la demande de la Turquie via Interpol et sa mise en accusation avaient soulevé, en effet, un vaste mouvement de protestation de la part du monde politique et de la société civile, particulièrement en Bretagne, en direction des autorités espagnoles, françaises, européennes et onusiennes.
Lors de son passage à Rennes, Faruk Doru a répondu à nos questions concernant sa situation et l’évolution de la question kurde en Turquie.
La 4° chambre criminelle espagnole, l’Audiencia Nacional, a débouté la Turquie, le 28 juillet dernier, au motif qu’elle n’avait apporté aucune preuve justifiant ses demandes d’extradition, tout en précisant que vous bénéficiez de la protection internationale que vous confère le statut de réfugie politique. Quelles sont donc aujourd’hui vos responsabilités ?
Faruk Doru – En tant qu’homme et en tant que Kurde, je m’engage pleinement dans les activités à la fois humanitaires et associatives, d’une part, diplomatiques et politiques, d’autre part.
J’exerce des responsabilités dans ces deux domaines et je suis accrédité comme consultant auprès du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne ; je suis également membre de Comité International du Forum social mondial et Vice-président de la commission des relations internationales du Congrès National du Kurdistan (KNK) ; je suis aussi Directeur du Centre d’Information du Kurdistan de Paris (C.I.K.)
De quoi la Turquie vous accuse en définitive ?
La Turquie me reproche principalement mes prestations télévisées ; j’ai participé, c’est un fait – et je continue et continuerai de le faire – à de nombreux débats politiques organisés par les chaines de télévision, tant kurdes qu’européennes, au cours desquels j’expose mes arguments en faveur d’une possible résolution de la question kurde par des voies pacifiques. Vous noterez également, et c’est surprenant, que les autorités turques, dans l’acte d’accusation même, reconnaissent que je ne suis pas, depuis 30 ans, retourné au pays et que je n’exerce, en Turquie, aucune activité, ni politique, ni militaire.
Votre séjour forcé en Espagne a-t-il nui à la cause kurde que vous défendez ?
Oh que non ! et c’est paradoxal, mais mon séjour forcé en Espagne a été, finalement, bénéfique pour la cause kurde : il m’a permis de participer à nombre d’actions publiques, largement “couvertes” par la presse espagnole, tant nationale que régionale, qui a mis en évidence le conflit kurde. Les avocats de l’ACNUR (Haut-commissariat de l’ONU pour les réfugiés) et de la CEAR (Commission espagnole d’Aide aux Réfugiés) ont qualifié d’exemplaire la décision de “l’Audiencia nacional”. Dans le même temps, les différents ministres du gouvernement Zapatero étaient interpellés, au sujet de la question kurde, par de nombreuses ONG, nationales et internationales, et par des acteurs politiques européens et de différents pays européens. Toutes ces actions se sont concrétisées par l’ouverture, à Madrid, d’un Bureau d’information kurdo–espagnol !
Pensez-vous pouvoir retourner un jour en Espagne ?
Mais je suis déjà retourné à Madrid ! Moins de deux mois après mon procès, pour recevoir en lieu de place de Leyla Zana le Prix des Droits de l’Homme que CEAR-ACNUR lui décernait ; et, le soir même, devant plus de 500 personnalités, je donnais une conférence sur la très problématique actualité kurde.
La presse régionale titre aujourd’hui (samedi 14 novembre): Turquie : droits en plus pour les Kurdes ; que répondez-vous ?
Le peuple kurde, c’est, aujourd’hui, plus de 40 millions d’hommes et de femmes vivant au Proche Orient ! Cette réalité, incontournable, appelle à des changements constitutionnels et obligent les institutions internationales à engager le processus de négociation entre les représentants du peuple kurde et les Etats responsables de cette situation coloniale. Nous sommes sans doute entrés dans un processus nouveau mais nous n’en sommes encore qu’au début ; je note que le gouvernement turc n’a pas encore stoppé les opérations militaires, ni au Kurdistan-nord (Kurdistan turc) ni au Kurdistan-sud (Kurdistan irakien).
Peut-on croire à la sincérité du gouvernement turc?
Non, je pense que le gouvernement turc essaie de trouver une solution “à sa main”, c’est-à-dire en rejetant toute discussion aves les représentants kurdes, tout en sachant qu’il va, ainsi, “droit dans le mur”.
En tant que consultant au Conseil de l’Europe et ambassadeur de la cause kurde dans les couloirs de l’assemblée européenne, que demandez-vous aux membres du Congrès des Pouvoirs locaux et aux députés européens ?
Nous demandons au Conseil de l’Europe qu’il fasse appliquer ses propres résolutions : la Turquie qui est membre du Conseil de l’Europe est tenue d’obtempérer. Mais, comme la Commission européenne, le Conseil de l’Europe réagit en fonction de ses propres intérêts économiques ; il en est de même pour certains pays européens comme la France, par exemple, qui mène à la demande de la Turquie des opérations policières et va jusqu’à procéder à des arrestations d’opposants kurdes pourtant placés sous la protection internationale que leur confère le statut de réfugié politique.
Les Kurdes demandent légitimement une reconnaissance de leurs droits, droits politiques, droits sociaux, droits culturels, droits économiques, qui ont été jusqu’à aujourd’hui si souvent bafoués par les Etats de la région et les institutions internationales.