Les autorités turques ont interdit le 13 octobre, alors que les acteurs étaient déjà sur scène, une pièce de théâtre en langue kurde qui était programmée pour la première fois dans l’histoire moderne de la Turquie par un théâtre municipal à Istanbul. “Beru” (traduction en kurde de la pièce “Klaxon et Trompettes… et Pétarades” du célèbre écrivain italien Dario Fo) était au programme du théâtre municipal d’Istanbul, qui avait envisagé d’accueillir la pièce mise en scène par la troupe indépendante Teatra Jiyana Nu (Théâtre de vie nouvelle). La police turque a bloqué le théâtre municipal d’Istanbul pour empêcher la représentation de la pièce sur ordre du gouverneur du district, prétextant que la pièce risquait de “perturber l’ordre public”. “Faire du théâtre en kurde est bien sûr autorisé. Mais on ne peut tolérer une pièce contenant de la propagande du PKKPartiya Karkerên Kurdistan, Parti des Travailleurs du Kurdistan, fondé en 1978. More“, a déclaré Ismail Catakli, porte-parole du ministère de l’Intérieur, sans donner plus de précisions.
Plus que la pièce de Dario Fo, traduite dans plusieurs langues et jouée dans de nombreux pays, c’est l’affiliation de la troupe de théâtre au Centre culturel de Mésopotamie (MKM), vu par les autorités comme “proche du PKK”, qui a déclenché l’interdiction. Des journaux proches du pouvoir s’en étaient violemment pris à la municipalité d’Istanbul, dirigée par l’opposition, dès l’annonce de l’ouverture des salles de la ville à ce qu’ils considèrent être “la troupe du théâtre du PKK”.
Centre culturel de Mésopotamie
Le MKM (prononcer “mékamé”) a été fondé le 27 septembre 1991 à Istanbul par un groupe comprenant le regretté Musa Anter, grand poète écrivain kurde assassiné le 20 septembre 1992 à Diyarbakır. Le MKM crée depuis près de 30 ans des activités dans diverses disciplines artistiques telles que le théâtre, le cinéma, la musique, la danse folklorique et la danse contemporaine avec comme objectif de lutter “contre toutes les oppressions, l’assimilation, le déni et les politiques de génocide culturel”. Il est présent à Istanbul mais aussi au Kurdistan, et notamment à Diyarbakir. Le MKM se situe dans une perspective “d’art révolutionnaire et communautaire contre l’industrie culturelle de la modernité capitaliste”. C’est le passage obligé de nombreuses délégations étrangères qui souhaitent avoir des vrais contacts avec la culture kurde. Gérard Alle et Caroline Troin, dans leur livre “Les yeux grands ouverts” (A Douarnenez, 40 ans de cinéma et de diversité) relatent avec émotion ce lieu découvert en 2003 alors qu’ils préparaient la 23° édition du festival de cinéma de Douarnenez consacré au Kurdistan :
à Istanbul, le Centre culturel Mésopotamie a survécu aux descentes de police. Aux murs, des portraits de martyrs. Rencontre avec Kazim Öz, invité à Douarnenez pour y présenter ses premiers courts-métrages, dont Ax/La Terre, où Zelo refuse de quitter son village malgré les injonctions de la soldatesque turque. Les Douarnenistes visionnent des cassettes censurées et repartent avec !
Caroline confira aussi en off son ressenti :
un lieu étonnant, une ambiance curieuse, survoltée et détendue à la fois, cela ne cesse de rentrer et sortir, il y a des livres et revues kurdes en vente, ouvertement. Les responsables nous expliquent qu’ils ont déjà été interdits et fermés 5 fois par le gouvernement. A chaque fois, dissolution, création d’une nouvelle société, emménagement dans un nouveau lieu, et on recommence, ce n’est pas la détermination qui manque. C’est un endroit de rencontres, rencontre avec les représentants d’associations de défense des droits de l’homme, harcelés, menacés, mais plus que jamais combatifs, rencontres avec des victimes de tortures, qui disent toutes la même chose qu’Ali, à qui la guerre a pris trois fils : “nous voulons transmettre à nos enfants l’amour de la vie. Si on détruit notre maison, nous la reconstruisons avec le sourire.”
André Métayer