Dans le cadre de l’animation autour de l’exposition des œuvres de Zehra Dogan, au Carré Lully et dans le cadre des journées internationales des droits des femmes, une conférence débat, animée par Tony Rublon et Laetitia Boursier, président et vice-présidente des Amitiés kurdes de Bretagne (AKB), s’est tenue dimanche 10 mars à la Maison Internationale, avec la participation de Jacques Massey, journaliste indépendant qui a travaillé sur les assassinats des trois militantes kurdes Rojbin, Sakine et Leyla à Paris en 2013, Zilan (par Skype depuis Strasbourg avec les grévistes de la faim), Mukkader, membre active du Mouvement des femmes kurdes, Duygu Erol, journaliste kurde en exil, correspondante de Jinha, l’agence d’information féminine et féministe, Naz Oke, journaliste à Kedistan, André Metayer, comme témoin cité au Tribunal permanent des Peuples (PPT) pour “Meurtres ciblés (cas de Paris)”. Parmi l’assistance, remarquable par sa diversité et très à l’écoute des intervenants, on pouvait remarquer la présence de Jocelyne Bougeard, adjointe à la Maire, déléguée aux relations internationales et aux relations publiques, Geneviève Letourneux, conseillère municipale, déléguée aux droits des femmes et à l’égalité, Hervé Rouzaud Le Bœuf, avocat honoraire, Fehmi Kaplan et Saadet Kilic, co-présidents du Conseil démocratique kurde de Rennes, Mahmut Aydin, responsable des relations extérieures, et une forte délégation de femmes kurdes de Rennes actives se reconnaissant dans le mouvement de femmes ayant comme objectif l’émancipation des femmes partout au monde, par le combat contre le patriarcat, y compris dans la vie quotidienne. Un moment fort a été la lecture par Laetitia Boursier d’un extrait du livre, “Kürt Siyasetinin, Mor Rengi” (La couleur pourpre de la politique kurde) de Gultan Kisanak, maire destituée de Diyarbakir et détenue depuis octobre 2016 à la prison de Type F de Kandıra dans la province de Kocaeli, dont voici quelques extraits :
La métropole est tâche difficile, une femme peut-elle l’accomplir ?
Le fait qu’une femme qui, lors du coup d’Etat fasciste du 12 septembre, avait séjourné dans la prison de Diyarbakir n°5, soit élue 34 ans plus tard co-maire de Diyarbakir était une revanche. C’était une grande réussite au nom de la politique démocratique et au nom de la lutte de la libération des femmes. Le fait qu’une femme soit élue co-maire de Diyarbakir, considéré comme haut lieu de la politique kurde, alors qu’elle ne possède pas l’identité dominante (homme, sunnite), qu’elle ne s’adosse pas à une force économique, tribale ou un statut social élevé, montrait que tous les critères habituels politiques étaient changés. Et cette situation était l’expression concrète du changement démocratique de la société, ainsi que la force de la volonté des femmes organisées.
Nous avons fait beaucoup d’efforts pour augmenter le nombre de femmes cadres de direction dans l’administration générale de la mairie. Mais nous n’avons pas réussi à l’amener au niveau que nous souhaitions. Là aussi, la mentalité patriarcale aussi bien que le manque de confiance des femmes en elles-mêmes ont joué un rôle.
Il fallait que les femmes s’approprient leur travail, et soient plus courageuses pour prendre des responsabilités. C’est une réalité.
Aussitôt après les élections de 2014, la Turquie et le Moyen-Orient sont entrés dans une période politique tout à fait différente. La guerre, les déplacements de cette période, ont beaucoup affecté les administrations locales. Suite à l’attaque de Daech sur Sinjar, Diyarbakir fut une des villes vers laquelle, les Yézidis, obligés de quitter leur maison, se sont dirigéEs en masse. Pour moi, le fait d’être témoin de la tragédie des femmes yézidies, d’écouter la sauvagerie qu’elles ont subie, a été très dérangeant. Nous avons essayé de les soutenir, en utilisant tous nos moyens.
Ensuite, en 2015, Diyarbakir fut une des villes secouées par les couvre-feux, les morts, la destruction et l’exil encore. Ce qui a été vécu dans le district Silvan, le quartier historique de Sur, nous a marqué profondément. “La guerre atteint le plus les femmes et les enfants”. On peut dire beaucoup de choses sur ces vécus, mais il est impossible de décrire la lourdeur d’apprendre cette phrase en le vivant. Surtout lorsque dans une telle période, on porte sur ses épaules le devoir d’une lourde responsabilité sociale comme la coprésidence d’une mairie. Il n’est pas facile d’être humaine, de rester humain. On est mis à l’épreuve des milliers de fois.
Les grèves de la faim ont suscité un débat : cruel dilemme entre l’empathie, le soutien, la solidarité envers les grévistes de la faim décidés à aller jusqu’à la mort pour faire cesser un régime carcéral inhumain imposé au leader du peuple kurde, et l’encouragement à trouver d’autres formes de lutte. Il faut savoir terminer une grève, non pas pour rendre les armes mais pour pouvoir continuer le combat et sortir, à terme, vainqueur. La décision appartient à tous les élus·e·s politiques kurdes aujourd’hui détenu·e·s dans les geôles turques. Abdullah Öcalan avait lui-même demandé en 2012 de cesser le mouvement de grève de la faim.
André Métayer