“La nouvelle génération d’enfants kurdes n’a plus peur”

Il y a urgence à régler la question kurde ! C’est un journaliste turc qui l’écrit dans Milliyet, le chroniqueur et documentaliste Can Dündar, l’un des personnages les plus connus dans les médias turcs, qui rapporte ces propos de Leyla Zana, candidate à la députation :

La nouvelle génération d’enfants kurdes n’a plus peur. L’État a intérêt à trouver une solution avec des gens comme nous et ceux d’Osman Baydemir, recueillis au retour d’obsèques de guérilleros kurdes, suivies par des milliers de personnes : je n’ai jamais vu une population aussi déterminée et qui craint aussi peu la mort,

propos confirmés par “un haut responsable de la police” qui constate que les actions de résistance passive (comme les rideaux baissés) se font maintenant spontanément. Oui, il y a urgence : au soir des élections, le 12 juin, le discours du probable vainqueur, le chef du gouvernement AKP, sera écouté attentivement. Öcalan, avec qui les pourparlers durent depuis trois ans, a prévenu : s’il n’y a pas d’ouverture, c’est la guerre.

La froide détermination du BDP

Le parti pro-kurde BDP, qui entend bien doubler le nombre de ses députés à la Grande Assemblée de Turquie malgré un mode de scrutin inéquitable, avance avec une froide détermination. Les arrestations, les procès, les condamnations, les violences ne peuvent arrêter leur mouvement.

Lors du colloque sur la question kurde, Sevahir Bayindir, députée BDP et Meral Bestas, Vice-présidente du BDP, ont montré cette même combativité.

Sevahir Bayindir

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On parle beacoup, en ce moment, du printemps vécu par les pays arabes. Il faut savoir que, pour les Kurdes, c’est toujours l’hiver. Nous voulons, nous aussi, que le printemps arrive. Le message délivré par Sevahir Bayindir, députée de Sirnak, est clair. Sevahir Bayindir, diplômée de l’université d’Izmir, infirmière de 1991 à 1997, co-fondatrice du DEHAP (Parti populaire démocratique) qu’elle préside de 1998 à 2002, a été élue députée en 2007. En juin 2009 elle réclame une commission d’enquête concernant le travail des enfants. Le 3 juin 2010 elle se trouve à la tête d’une manifestation de 10 000 personnes, à Silopi dans sa circonscription de Sirnak, près du pont de Habur, point de passage entre la Turquie et l’Irak, pour dénoncer les opérations militaires. C’est alors que les forces de l’ordre turques ont chargé avec brutalité, blessant grièvement plusieurs personnes. Les députés kurdes ont été particulièrement visés par les canons à eau des “panzers” de la police et Sevahir Bayindir a du être hospitalisée avec une fracture du bassin dont elle portera toujours les séquelles : les protestations et les demandes de commissions d’enquête sont restées lettres mortes. Sevahir Bayindir n’est pas la seule visée : la députée de Batman, Ayla Akat Ata a également été grièvement blessée par un tir de grenade lacrymogène lors d’une manifestation à Sirnak organisée pour protester contre la décision non fondée du Haut Conseil électoral (YSK) d’invalider des candidatures pour les élections du 12 Juin. Une nécrose a été diagnostiquée qui n’a pas entamé la détermination de la députée : Même si je dois être amputée d’une jambe, je continuerai.

Une autre députée, Sebahat Tuncel, s’est opposée physiquement aux policiers pour défendre des manifestants matraqués alors qu’ils obéissaient pourtant à l’ordre de dispersion. Des gifles furent même échangées. Des députés comme Siri Sakik, de Mus, ou Akin Birdal, de Diyarbakir, ont eu droit également à des “traitements de faveur”.

Meral Bestas

M-_Bestas.jpgMeral Bestas, Vice-présidente du BDP, mariée, deux enfants, est avocate de profession. Impliquée dans la défense des droits des femmes avec Eren Keskin, dans le cadre du Bureau d’aide juridique contre les agressions sexuelles et viols en garde à vue, elle a reçu en 1999 le prix des droits humains de la ville de Weimar. Elle est l’un des 125 avocats qui plaident la cause, dans le procès de Diyarbakir, des 151 inculpés (élus, responsables politiques et associatifs) :

Ils sont jugés, a-t-elle dit lors de son intervention au colloque de Paris, en tant que membres non armés d’un groupe armé : c’est un procès politique. Entre les années 2001 et 2009, 192 566 personnes ont été mises en garde à vue et, pour la plupart, mises en détention. La politique de destruction menée par le gouvernement turc est soutenue par les pays européens. Des opérations contre les Kurdes sont menées, en France, en parallèle à celles menées en Turquie. La France a, depuis 2006, mis en garde à vue 154 personnes qui militent pour la cause kurde. La France mène cette politique pour protéger ses intérêts économiques et politiques. On aurait pu penser que la Turquie finirait, avec le temps, par ressembler à l’Union européenne, mais c’est le contraire qui se produit : c’est l’Union européenne qui finit par ressembler à la Turquie.

Dernière minute : arrestations et échauffourées à Villiers-le-Bel

Le Colloque organisé par la Coordination avait, le 30 mai dernier, fustigé la politique répressive de la France à l’égard des Kurdes :

nous ne pouvons accepter que des militants soient poursuivis sur notre sol pour des motifs politiques ; nous exigeons la libération de toutes les personnes incarcérées et l’abandon de toutes les poursuites engagées

peut-on lire dans la déclaration finale. La réponse ne s’est pas faite attendre : sur ordre du juge anti-terroriste, la police a fait une descente au centre culturel Kurde de Villiers-le-Bel le samedi 4 juin, perquisitionné les locaux et arrêté plusieurs militants de la cause kurde dont Nedim Seven, qui s’est déjà vu refuser l’autorisation d’entrer à l’Assemblée nationale lundi dernier pour participer au colloque.

Un rassemblement spontané devant le centre culturel a été réprimé par les forces de l’ordre avec violence. Il y a une dizaine de blessés.

La même opération s’est également produite au centre culturel kurde d’Evry : les locaux ont été perquisitionnés et la police a arrêté plusieurs militants qui sont actuellement en garde à vue.

Les Kurdes, notamment les jeunes, sont très en colère. Des rassemblements ont déjà eu lieu, comme à Rennes, ou s’organisent pour les prochains jours.

André Métayer