Une salle des fêtes quelque part à une vingtaine de kilomètre de Strasbourg, qui ressemble à n’importe quelle autre en France ou en Navarre. Tout le monde est attablé et chacun essaye de se réchauffer les mains en entourant un bol de çorba (une soupe de lentille) fumante. On peut lire sur les visages que ces quatorze jours de marche ont entamé les corps, mais pas le moral. On s’interpelle, de table en table, on rit fort, on se restaure en oubliant le fumet des pieds meurtris extirpés à grand peine des chaussures raidies par le froid.
Ici, les marcheurs ont obtenu leur décoration à la force des jarrets : ils ont tout donné durant les quatre cents kilomètres qui séparent Genève de Strasbourg. Ils sont cent, deux cents à avoir marché jusqu’à trente cinq kilomètres par jour depuis le 31 janvier, des femmes, septuagénaire pour l’une, des hommes, des jeunes, des plus âgés, des artistes, des intellectuels, des maçons, des mères de familles, des responsables associatifs, des élus politiques, bref tout le peuple kurde était représenté.
La météo va apparaître plus clémente pour ceux qui ont connu les moins vingt degrés des étapes helvétiques! Étapes terribles où le vent se faisait le tortionnaire de la troupe.
Les marcheurs viennent de tous les pays européens, principalement de Suisse, d’Allemagne, de France et d’Italie. Mais ils sont avant tout Kurdes et scandent les slogans qui réclament “une solution politique pour le Kurdistan” ou bien la libération de leur chef historique Abdullah Öcalan. Les journées de marche dans la froidure d’un mois février des plus sévères renforcent les liens : on se parle, on chante, on crie, on reste concentré sur l’objectif : marcher pour montrer à la face du monde que les Kurdes existent et qu’ils réclament l’écoute qui leur est dû.
Où sont les médias français?
Aucun médias français n’est là pour relayer cette marche historique : “quand nous marchions en Suisse, nous avons été suivis tout les jours par tous les médias helvétiques, mais depuis que nous avons passé la frontière française, plus rien” peste la chanteuse Eylem qui poursuit : “Les européens n’ont pas compris que le printemps prochain va être celui de tous les dangers… c’est dramatique”.
Micro trottoir
Notre marche va nous permettre d’atteindre Strasbourg, mais elle va montrer notre détermination à obtenir la paix. La paix ne peut s’installer que dans une Turquie réellement démocratique et qu’avec notre leader, le président Öcalan. Personne ne doit oublier que le président Öcalan a été livré à la Turquie par les États-Unis avec l’aide de pays européens. La France, l’Europe se doivent de reconnaître leur responsabilité historique dans la tragédie du peuple kurde : promesses non tenues du traité de Lausanne, complaisance face à la Turquie et sa dérive anti-démocratique, fermeture de notre télévision Roj-Tv.
Firat explique qu’il habite la région de Tours et que cette marche, rejointe 5 jours plus tôt, est éprouvante pour lui : le corps renâcle avant de s’habituer.
Mais quand je regarde ces trois femmes toutes ridées qui marchent depuis Genève, je me dis que c’est tout simplement impossible de renoncer ! Alors je serre les dents et me concentre sur le but : démontrer que nous sommes capables de tout endurer pour une solution pacifique et démocratique pour notre peuple mais aussi pour les autres.
Gaël Le Ny