‘’La conférence co-animée par Tony et Gulistan méritait vraiment que je me tape l’aller-retour Carhaix-Rennes dans le brouillard centre-breton ! Je n’ai pas été déçu par la qualité des exposés et la richesse des échanges qui ont suivi’’.
Un témoignage parmi d’autres saluant cette ‘’très intéressante soirée’’ réunissant, ce jeudi 28 novembre, à la Maison internationale de Rennes, dans le cadre du Festisol. Une cinquantaine de personnes intéressées par le sujet : la Guerre de l’eau au Moyen-Orient et de ses impacts sur le Nord-Est Syrien, également connu sous le nom de Rojava, le Kurdistan de Syrie, une région autonome administrée par l’ AANES (Administration Autonome du Nord et de l’Est de la Syrie) avec cette particularité d’associer Kurdes, Arabes, Assyriens et d’autres.
La question de l’eau est problématique, d’autant que ce territoire s’étend le long de la frontière avec la Turquie, un voisin belliqueux qui en fait menace constante dans un contexte de guerre, car il s’agit bien d’une guerre, une guerre asymétrique, comme l’a écrit Gérard Chaliand, dont l’issue est incertaine.
Intervention de Tony Rublon
Tony Rublon, président des Amitiés kurdes de Bretagne,géographe, a exposé la question de l’hydropolitique au Moyen et Proche -Orient, et plus particulièrement au Nord-Est Syrien. Il conclut par une présentation de la situation d’aujourd’hui en Turquie.
‘’ En novembre 2024 , la situation est alarmante à Istanbul. En raison de faibles pluies pendant l’hiver et d’un été particulièrement chaud et sec, les barrages approvisionnant la ville sont en dessous des 30% de remplissage, laissant présager d’importante restriction d’eau courante. L’ensemble de la Turquie est touchée par cette vague de chaleur et cette sécheresse, mais la situation à Istanbul est particulièrement alarmante puisque depuis les années 80, le nombre de barrages alimentant la ville, soit onze lacs artificiels, a augmenté de manière marginale par rapport à sa population totale qui a été multipliée par trois. Faute d’investissement dans des systèmes d’irrigation plus performants, et d’aménagements permettant une meilleure distribution et une meilleure régulation de son usage, la consommation d’eau ne cesse de croitre. Sans une coopération pleinement consentie par les différents acteurs de la société turque, la demande en eau poursuivra sa croissance en Turquie, ce qui impactera nécessairement la quantité d’eau rendue disponible pour la Syrie et l’Irak. Des mesures préventives telles que l’utilisation de technologies permettant d’économiser l’eau, le développement d’infrastructures d’approvisionnement, la prévention et la sensibilisation face à la pollution et au gaspillage, doivent être considérées comme des priorités. Face à l’inaction des États et aux désinvestissements des puissances publiques, des alternatives locales fleurissent, des citoyens expérimentent des pratiques plus écologiques en s’éloignant entre autres du modèle agro-industriel dont les besoins en eau sont exponentiels.
L’agriculture constitue peut-être le levier principal de ces changements. En Syrie et en Turquie, l’eau est utilisée à plus de 70 % pour les activités agricoles. La construction des barrages a considérablement modifié l’orientation des productions faisant place à des monocultures, comme le coton et le maïs, à très forte consommation hydrique. La surexploitation des réserves artificielles d’eau par ces productions non endémiques contribue fortement à l’assèchement rapide des retenues d’eau produit par les barrages. Si au niveau national, l’État turc continue de promouvoir l’agro-industrie, certaines municipalités kurdes et turques expérimentent des pratiques plus écologiques en s’inspirant des méthodes traditionnelles paysannes. L’adaptation des types et des modes de culture est ainsi expérimentée grâce à des initiatives locales qui ont opéré une profonde transformation de leur modèle agricole. Le changement de mode d’irrigation constitue bien un premier pas vers la réduction de la consommation d’eau, mais il s’agit surtout de questionner la productivité permise par l’utilisation de variétés hybrides de semences (F1 et modifiées). Revenir vers des graines anciennes et traditionnelles, des cultures adaptées au biotope et respectant l’agriculteur et la terre, c’est ce que propose « Ekotov » en protégeant les graines anciennes dans une « bibliothèque de graines » et en utilisant les jardins d’Hevsel à Amed (Diyarbakir) pour pratiquer une culture raisonnée, respectant les besoins et les cycles de la nature. En Syrie, le projet Keziyên kesk – les tresses vertes- propose des alternatives similaires et complémentaires à celles expérimentées par Ekotov, c’est cette initiative que nous présentera Gulistan’’.
Gulistan Sido
Gulistan Sido, doctorante à l’Inalco (Institut national des langues et civilisations orientales) et spécialiste de littérature orale kurde est originaire de la montagne ‘’Afrin’’. Kurde de Syrie, elle a grandi et fait ses études à Alep, avant de les poursuivre en France où elle a fait un Master en lettres modernes à Paris III. De retour à Alep, elle a vécu la guerre : ‘’j’ai vécu dix ans de cette guerre qui fait encore rage dans mon pays. Un long exode a commencé pour moi, d’Alep vers Afrin, puis d’Afrin vers les régions d’Al-Jazeera et enfin le débarquement et l’exil en France en octobre 2021. Là, j’ai pu m’inscrire en doctorat à l’Inalco.’’ Gulistan Sido parle parfaitement l’arabe, le kurde et le français.
Elle est l’une des membres fondatrices de l’association ‘’Les Tresses Vertes’’ et responsable des relations internationales du projet présentant les alternatives écologiques et politiques.
Le projet Keziyên kesk (les Tresses Vertes)
L’association des Tresses Vertes est une initiative écologique populaire née en octobre 2020 dans ce contexte de guerre. Lancée par une équipe de 8 personnes issues de différentes régions du RojavaKurdistan occidental (Kurdistan de Syrie), divisé en trois cantons : Cizirê (le canton le plus peuplé comprenant notamment la ville de Qamişlo), Kobanê et Efrin. More, elle est basée à Qamișlo et est active dans la région du Nord-Est de la Syrie. Le projet a commencé sur une base de volontariat, sans aucun budget, et avec juste quelques graines récupérées gratuitement. Elle vise à intensifier les efforts de reforestation en mobilisant largement la société civile, avec l’aide de l’AANES et des municipalités.
‘’L’association des Tresses Vertes a pour vocation de tisser à nouveau des liens avec la vie grâce à la création de pépinières. C’est un acte de résistance. Par cette initiative bénévole, nous aspirons à préparer 4 millions de semis de différentes variétés d’arbres à replanter en 5 ans dans l’ensemble de la région’’.
Ce programme est lauréat du Prix de la Fondation Danielle Mitterrand 2022. Ce prix a été décerné dans le cadre du réseau JASMINES (Jalons et Actions de Solidarité Municipalisme et Internationale avec le Nord-Est de la Syrie) initié et conçu par la Fondation Danielle Mitterrand. AKB, qui est membre du réseau JASMINES, est aussi membre de Water 4 RojavaKurdistan occidental (Kurdistan de Syrie), divisé en trois cantons : Cizirê (le canton le plus peuplé comprenant notamment la ville de Qamişlo), Kobanê et Efrin. More, nom temporaire d’un réseau de coordination qui s’organise pour plaider à la réouverture et à la gestion partagée de la station de pompage d’eau d’Alouk, laquelle approvisionne normalement environ 1 million de personnes. Elle est depuis 2019 contrôlée par des forces mandatées par l’armée turque ; son débit a été interrompu au moins 30 à 40 fois. Les récents bombardements ont aggravé la situation, laissant une grande partie de la région sans électricité ni accès à l’eau potable. La reforestation par la production de pépinières dans toute la zone du NES aide les peuples à survivre aux agressions turques, à la restriction des eaux du Tigre et de l’Euphrate ordonnée par l’Etat turc qui les prive d’une eau potable.
Un excellent débat a suivi ce témoignage concret de Gulistan Sido qui a su toucher le public et dont on retiendra une idée forte : le succès des pépinières est intrinsèquement lié à une organisation politique et sociale. On est dans la ‘’Résistance au quotidien’’, on essaie de respirer, de vivre La thérapie des arbres prend tout son sens.
Projet écologique qui rime avec projet éducatif : beaucoup de séances de sensibilisation organisées dans le cadre scolaire où les enfants apprennent en pratiquant et préparent coûte que coûte le monde de demain. De beaux projets d’éducations sur le thème de l’écologie sont en cours.
La récente prise d’Alep par les HTS a rattrapé Gulistan qui vit dans l’angoisse : sa mère vit à Alep avec un de ses frères médecin.
André Métayer
Avec la coopération des organisateurs de la conférence : Tony Rublon, Marie-Brigitte Duigou, Audrey Martin, Olivier Dupont
Photo : Marie-Brigitte Duigou