Dans une récente interview, l’historien Hamit Bozarslan décrypte la nature du régime du président turc Recep Tayyip Erdoğan et s’inquiète du virage autoritaire pris par le pouvoir ces dernières années.
Dans son rapport annuel 2015, l’Union européenne avait également dénoncé “une tendance négative” pour l’état de droit en Turquie et de “graves reculs” sur la liberté d’expression. La Turquie, sous la coupe de son président-dictateur, islamo-conservateur, n’est plus, en effet, un Etat de droit.
Arrestations, condamnations et intimidations à la hausse
Elle le montre une fois encore en condamnant à deux ans de prison ferme, le 28 avril 2016, deux journalistes du quotidien turc Cumhuriyet, pour avoir reproduit la couverture du “numéro des survivants” de Charlie Hebdo. Le 29 avril 2016, le parquet d’Istanbul requerrait à son tour de un à cinq ans de prison pour “propagande terroriste” en faveur de la rébellion kurde à l’encontre d’un universitaire britannique, Chris Stephenson, résidant depuis 25 ans en Turquie, coupable d’avoir apporté son soutien à trois universitaires turcs, arrêtés pour avoir signé une pétition accusant l’État de “massacres antikurdes” dans le sud-est du pays. Samedi 30 avril était à son tour interpellé Hamza Aktan, rédacteur en chef d’IMC TV, la seule chaine de télévision pro kurde en Turquie opposée à la ligne du gouvernement. On reproche à Hamza Aktan, journaliste mais également auteur d’un livre, “Le citoyen kurde”, des tweets qu’il aurait envoyés en 2015. Ces personnes ne sont pas les seules dans le collimateur : on dénombre en ce moment en Turquie quelque 2 000 procédures judiciaires pour « injure » envers le chef de l’Etat, visant aussi bien artistes et journalistes que simples particuliers. La mégalomanie présidentielle est sans borne. Après avoir muselé la presse dans son propre pays, y compris celle de ses anciens amis qui l’ont porté au pouvoir, Erdoğan entend vouloir dicter sa loi en dehors des frontières.
Erdoğan menace nos libertés
Le gouvernement belge a interpellé les autorités turques au sujet d’une “liste noire” de 1 224 personnes d’origine turque résidant en Belgique Le ministre turc de l’Intérieur s’est engagé à fournir des informations plus précises à ce sujet mais ne s’est pas exécuté à ce jour. Erdoğan veut aussi contrôler en Belgique les imams et les mosquées, comme il entend surveiller aux Pays-Bas les auteurs de critiques à son égard, principalement les citoyens d’origine turque. Même en Suisse, Erdoğan veut imposer sa loi ! Une exposition photographique, place des Nations à Genève, a froissé la susceptibilité du monarque et il l’a fait savoir en demandant le retrait d’un cliché, pris le 14 mars 2014, d’une grande banderole déployée par un groupe de manifestants, sur laquelle on peut lire : “Je m’appelle Berkin Elvan, la police m’a tué sur l’ordre du Premier Ministre turc” (Erdoğan, devenu depuis président). La Ville de Genève a heureusement refusé de se plier à cette ingérence. Ce que n’a pas fait la chancelière Angela Merkel qui, cédant aux exigences d’Erdoğan, a autorisé à poursuivre un humoriste allemand au mépris de la liberté d’expression. Et quand on parle d’ingérence du président Erdoğan, comment ne pas penser à l’assassinat en plein Paris de trois militantes kurdes, le 9 janvier 2013 ? Le procès du présumé assassin doit se tenir à partir du 5 décembre prochain mais sa condamnation ne suffira pas. Il faut démasquer les commanditaires : un faisceau d’indices converge vers le MITOrganisation du renseignement national (Millî İstihbarat Teşkilatı), services secrets turcs. More, les services secrets turcs, dont le patron, Hakan Fidan, est l’homme-lige du tout puissant président Erdoğan.
André Métayer