“La Turquie est un modèle à suivre pour les autres pays musulmans”, lit-on ici et là, au grand étonnement de ceux qui militent pour la défense des Droits de l’Homme et pour la liberté d’expression en Turquie, qu’ils soient Turcs, Kurdes ou Européens.
De nouvelles lois sociales rétrogrades
S’il s’agit d’amener ou de conforter les pays du Maghreb et du Moyen Orient, qui ont chassé leurs dictateurs ou qui sont encore sous la férule de régimes autocratiques, vers une économie libérale capitaliste la plus débridée dont rêvent les “G.O.” du club G8, la Turquie peut effectivement être une “référence”! Le rapport 2010 de la Commission européenne de l’Union européenne note, très diplomatiquement “qu’une réforme visant à garantir le plein respect des droits syndicaux, conformément aux normes de l’UE et aux conventions de l’OIT, est toujours pendante”.
Il en faut plus pour infléchir la politique de la majorité parlementaire AKPAdalet ve Kalkınma Partisi (Parti de la Justice et du Développement), parti islamiste aux mains de l’autocrate Erdogan. More qui vient de voter un paquet de lois ultralibéral dont l’objectif est de rogner encore des droits des travailleurs déjà réduits à la portion congrue.
Le taux de croissance de 8% de la Turquie en 2010 fait rêver mais le taux de chômage devrait faire réfléchir : 11,2% au dernier trimestre 2010, soit 2,9 millions de sans-emplois selon les statistiques officielles, 20% selon certaines sources, avec des disparités énormes d’une région à l’autre, les plus touchées étant les régions kurdes. Il est donc permis de se demander à qui reviennent les bénéfices d’une croissance que les tenants du “modèle” turc vantent auprès des pays émergents.
Libertés démocratiques bafouées
Quant à la liberté d’expression, le “modèle” turc se trouve en bien mauvaise posture : le classement mondial publié le 20 octobre 2010 par RSF (Reporters sans Frontières) sur la liberté de la presse place la Turquie à la 138e place sur 178 pays et ce ne sont pas les dernières condamnations de journalistes, turcs et kurdes, qui vont la faire remonter au classement.
Rappelons encore que la question kurde est un véritable brûlot qui ne pourra s’éteindre sans de vraies réformes constitutionnelles et sans l’ouverture de négociations, mais, pour l’instant, la Turquie préfère la répression, comme le déclare Abdullah Demirbas, maire de Sur, arrondissement-centre de la ville métropolitaine de Diyarbakir :
Je voudrais tout d’abord vous parler de ce procès de Diyarbakir : il y a pour le moment 151 prévenus dont 104 détenus mais il faut préciser que depuis le 13 avril 2009 les opérations continuent. 2 500 politiciens kurdes ont été arrêtés et, pour la plupart, toujours incarcérés. Ces accusés sont des hommes et des femmes politiques, militants associatifs, maires, anciens députés, membres du conseil régional, membres de conseils municipaux, des personnes élues qui ont choisi la politique et qui ne demandent que la paix, la démocratie et la liberté, mais qui ont été arrêtées comme membres d’une organisation armée. Oublions les armes, on n’a même pas trouvé un clou chez eux !
Alors qu’allons-nous faire? Nous allons nous battre pour nos libertés, mais les résultats sont les arrestations, la prison, la torture et la mort.
J’encours personnellement 173 ans de prison, la peine globale encourue par mes collègues est de 3 000 ans de prison. Est-ce le prix à payer pour défendre la démocratie?
Aujourd’hui les différentes identités, cultures et croyances ne seront pas acceptées dans ce pays tant que la république de Turquie n’aura pas procédé à des changements constitutionnels.
André Métayer