Il y avait foule ce dimanche 13 novembre à Rennes dans les locaux d’Amara, la Maison du Peuple kurde, pour commémorer le massacre des Kurdes alevis du Dersim en 1937/1938.
Le massacre du Dersim
Les tribus kurdes de la région montagneuse du Dersim s’étaient rebellées contre l’autorité d’Ankara au printemps 1937, sous la conduite du chef de tribu Seyit Riza, enclenchant un processus de répression qui se poursuivit jusqu’à la pendaison des meneurs de la révolte et à l’exode forcé de dizaines de milliers d’habitants. La région fut encerclée par l’armée. Les bombardements massifs par l’aviation et par l’artillerie lourde et l’usage des gaz toxiques permirent à l’armée de briser les résistances. S’ensuivit une véritable campagne d’extermination de la population civile qui s’est prolongée jusqu’en 1938. Peut-on parler de génocide ? Selon les chiffres officiels, 70 000 personnes ont été tuées et on estime à 100 000 le nombre de Kurdes forcés à l’exil. Plus d’un millier de fillettes ont été kidnappées et distribuées à des officier turcs.
Dersim est toujours à la recherche de ses filles portées disparues. L’Etat turc pensait qu’après ce massacre les Kurdes ne pourraient plus se révolter et que la question kurde était réglée. L’Etat turc s’est trompé et les Kurdes ont de nouveau résisté. Aujourd’hui, les Kurdes sont une force contre l’État turc qui, dans la lignée des atrocités infligées à Dersim, continue de massacrer dans tout le Kurdistan avec des techniques militaires plus modernes. Mais les Kurdes ne sont plus les Kurdes d’il y a cent ans. Aujourd’hui, ils ont un pouvoir et un statut au Moyen-Orient. Ils sont les pionniers de la révolution au Moyen-Orient.
C’est ainsi que l’ancien député kurde Demir Çelik a conclu son intervention, un véritable cours d’histoire mais aussi un appel pour la défense des droits humains.
Demir Çelik dénonce l’utilisation d’armes chimiques
Demir Çelik (dont le prénom et le nom se traduisent en français par « fer » et « acier ») porte bien son nom : c’est une figure éminente de la résistance kurde. Pharmacien de profession, ancien maire de Varto, ville districale de la région de Muş, député de Muş de 2011 à 2015, il est placé sur la liste “grise” des personnes recherchées pour terrorisme après sa condamnation à 6 ans et 3 mois de prison dans l’affaire principale du KCKUnion des Communautés du Kurdistan (Koma Civakên Kurdistan), fédération des organisations kurdes en Turquie. More et son exfiltration, en 2016, vers la Suisse. Il est aujourd’hui l’un des porte-parole du HDPParti de la Démocratie des Peuples (Halklarin Demokratik Partisi). More en Europe. Erdogan a promis une récompense de 1 million de livres turques pour sa capture. Son fils, combattant fait prisonnier dans les montagnes d’Amanos à Hatay en 2020, vient d’être condamné à 9 ans et 7 mois de prison.
Pour autant, Demir Çelik refuse d’être réduit au silence. Coprésident de la Fédération démocratique alévie (FEDA), il a dénoncé l’utilisation d’armes chimiques contre les troupes de guérilla :
L’État turc, qui a échoué malgré tout le soutien qu’il reçoit, n’hésite pas à utiliser toute forme de méthodes de guerre sale en violation des lois de la guerre. N’avançant pas sur le terrain, ils utilisent des armes chimiques interdites. Il est entendu que l’État turc traverse une période très difficile dans cette guerre. Les porte-parole du gouvernement fasciste dissimulent leurs défaites et nient leurs crimes contre l’humanité.
Demir Çelik prend la défense des droits humains
En feuilletant le livre « Vingt-cinq années aux côtés du peuple kurde », nous avons évoqué tous les amis que nous avons connus, ici à Rennes ou là-bas au Kurdistan, présents dans ce livre et aujourd’hui en prison : la liste est longue. Nous avons aussi évoqué ceux qui sont en exil et en particulier deux de nos amis, exfiltrés eux aussi vers la Suisse, Metin Tekçe, ancien maire de Hakkari et Sabahattin Sivaci, son fidèle collaborateur et successeur à la présidence de la section régionale du HADEP. La venue du maire de Hakkari en Bretagne en 2005 pour présenter son projet de centre de santé et d’éducation en direction des femmes et des enfants, a marqué les esprits et fut le début d’une longue histoire de coopération avec les tisseuses de Hakkari.
Nous avons aussi évoqué la question des détenus et demandé le soutien de Demir Çelik à nos actions en leur faveur. Le soutien de Demir Çelik est sans équivoque et sa réponse a souligné la nécessité de prendre conscience de l’ampleur du problème :
Depuis 2012, le pouvoir politique a commencé à s’éloigner de la démocratie, de la justice, de l’État de droit et des droits de l’homme. Abandonnant sa priorité d’amélioration de la démocratie, il a commencé à être associé à des opérations de police contre des groupes d’opposition, des exécutions extrajudiciaires, des procès inéquitables, des tortures et des enlèvements. Au cours des 6 dernières années, environ 2 millions de citoyens turcs ont été inculpés d’infractions de terrorisme et 512 000 d’entre eux ont été poursuivis. 320 000 personnes ont été condamnées et 131 000 personnes ont été emprisonnées. Il y a plus de 30 000 citoyens turcs, y compris des malades, des personnes âgées, des handicapés et des enfants, qui sont actuellement emprisonnés pour des délits de terrorisme avec des dizaines de milliers d’autres confrontés au même sort.
Pour conclure et résumer cet entretien, chaleureux, amical, mais très politique, empruntons cette citation au Tribunal de Turquie, un tribunal populaire international d’opinion dont le siège est à Genève, qui a pour mandat d’évaluer toutes les allégations de violations des droits de l’homme commises par la Turquie et d’en rendre compte de manière indépendante : « le silence est le plus grand ennemi des droits de l’homme fondamentaux ».
André Métayer
Photos : Eylem et Yvan Tellier