Les élus de la majorité municipale de Rennes ont renouvelé, samedi 11 octobre, leur action du 1er juillet 2006 en faveur des enfants de famille sans papiers, en prenant l’engagement solennel, de concert avec parrains et marraines de la société civile, « d’accompagner l’enfant et sa famille dans une démarche citoyenne en application des Droits de l’Homme et des principes de solidarité et de fraternité de la République ».
Daniel Delaveau, Maire de Rennes, a justifié ce geste au nom de la devise républicaine “Liberté, Egalité, Fraternité” inscrite sur le fronton des édifices publics et partie intégrante du patrimoine français, passant outre l’avertissement du préfet lui rappelant ses « obligations dans l’exercice de ses fonctions », dont la non-observance est passible d’amende ou de peine d’emprisonnement.
Parmi les 25 enfants parrainés se trouvent 16 enfants issus de familles kurdes chassées de leur pays par une guerre qui oppose l’armée turque à la guérilla kurde depuis des décennies et qu’on finit par oublier ; mais ce qui est arrivé le 3 octobre dernier à Semdinli, près de Hakkari, au poste frontière turco-irakien, nous ramène à la réalité : c’est sans doute l’un des coups de main les plus meurtriers tentés par la guérilla kurde et l’un des revers les plus sévères de l’armée turque faisant des dizaines de morts, autant de blessés, mettant aux prises une garnison militaire, appuyée par des hélicoptères de combat cobra et des chasseurs F-16, à une véritable armée – qu’on voudrait faire passer pour une bande de terroristes – forte de plusieurs centaines d’hommes aux dires du correspondant du “Figaro” et appuyée par une artillerie lourde, comme l’avoue l’Etat-major turc. On peut donc s’attendre à une réaction vive du gouvernement turc, poussé par une opinion publique et des médias plus belliqueux que jamais, “quel qu’en soit le prix” comme l’a annoncé le président turc Abdullah Gul.
La passion l’emporte sur la raison et la logique suicidaire de la guerre prend le pas sur celle d’une négociation que la partie kurde appelle de ses vœux et pour laquelle un appui international est indispensable.
Au lieu de jouer les médiateurs, la présidence française de l’Union européenne condamne l’attaque et réitère son soutien au gouvernement turc : la Turquie est un allié qu’il faut ménager et qui tient une place importante dans le dispositif géostratégique des uns et des autres, sans parler des petits ou gros intérêts financiers ; les revendications légitimes du peuple kurde pèsent peu, même si cette sale guerre, potentiellement dangereuse, froisse quelque peu les consciences.
Mesdames et Messieurs nos parlementaires européens, la question posée aujourd’hui n’est plus seulement de savoir si le respect des libertés fondamentales sera assuré dans une Turquie intégrée à l’UE, mais de savoir si l’entrée de la Turquie dans l’Union ne va pas faire reculer l’exercice des libertés fondamentales auxquelles nous tenons ; c’est une question légitime face à la montée d’un islamisme rampant et d’un panturkisme va-t-en-guerre dont on ressent les effets jusqu’ici. L’UE doit se montrer plus ferme pour faire respecter les critères de Copenhague dont l’un porte sur la mise en place d’institutions stables garantissant l’état de droit, la démocratie, les Droits de l’Homme, le respect des minorités et leur protection. Elle peut aussi s’imposer comme un négociateur de paix, comme elle l’a fait pour les Balkans, d’autant plus que les Kurdes, qui ne sont pas séparatistes, ne demandent même pas ce que l’Europe a accordé au Kosovo.
La position de la présidence française de l’UE dans le conflit turko-kurde, la lettre du préfet au maire de Rennes, le procès intenté à trois membres du collectif de soutien aux personnes sans-papiers de Rennes, le fichier Edvige, la chasse donnée aux familles sans papiers, sont autant de sujets d’inquiétude au regard de notre conception à tous des libertés fondamentales ; “ce qui est particulièrement intolérable”, comme l’écrit Madame Chapdelaine, adjointe au Maire de Rennes, ce sont “les expulsions de sans papiers, et notamment de familles dont les enfants sont scolarisés à Rennes, qui mettent en lumière la situation socialement dégradante et humainement insoutenable des plus fragiles et des plus précarisés de nos concitoyens : les migrants sans papiers”.
A tout ceci vient s’ajouter le décret du 22 août 2008 modifiant les conditions d’intervention dans les centres de rétention administrative (CRA) quant à l’information et l’exercice des droits des étrangers : la réforme dénature la mission d’assistance réduite à une seule mission d’information de la part “d’opérateurs” à qui la mission d’assistance serait confiée “par voie d’appel d’offres de marchés publics”, menace l’exercice des droits fondamentaux des personnes retenues en entravant toute parole publique de témoignage et d’alerte sur certaines situations contraires au respect des droits fondamentaux ! La CIMADE, qui pourtant depuis plus de 60 ans accompagne et défend les migrants et les demandeurs d’asile, en France et à l’international, est devenue “persona non grata”. On croit rêver !
André Métayer