Trois militantes kurdes ont été assassinées en plein Paris le 9 janvier dernier : Sakine Cansiz, Leyla Soylemez et notre amie Rojbîn. La police française a rapidement arrêté un suspect. La question clé posée par les avocats des membres des familles des victimes est la suivante : qui a donné l’ordre de tuer ? Tout porte à croire qu’il s’agit en effet d’un triple crime politique. D’après l’agence Reuters, la police française aurait “acquis la certitude que les principales connections suspectes viennent de Turquie, et ceci émane de quatre sources d’investigation”. Et, toujours d’après Reuters, les avocats de la défense comme des parties civiles disent que “l’enquête a traîné en raison des inquiétudes sur les retombées politiques d’une affaire impliquant deux alliés de l’OTAN liés par un accord bilatéral de sécurité de 2011”.
L’embarras d’une diplomatie complaisante
On savait déjà que malgré les grandes déclarations du genre “toutes les pistes sont ouvertes” ou “la France, fera preuve de son entière détermination à faire toute la lumière sur cet acte odieux”, la police a surtout cherché, dans ses premières investigations, à trouver une quelconque implication du PKKPartiya Karkerên Kurdistan, Parti des Travailleurs du Kurdistan, fondé en 1978. More dans cette affaire, piste à laquelle personne n’a vraiment cru, y compris la presse turque, mais qui aurait bien arrangé la diplomatie française qui a signé avec la Turquie le 7 octobre 2011 un accord de coopération dans le domaine de la sécurité intérieure. A preuve, l’attitude de tel chargé de mission proche du gouvernement qui se plait à colporter encore aujourd’hui, d’un air entendu, “c’est un règlement de compte entre Kurdes”. Tout ceci renforce notre conviction que ces accords sécuritaires, que nous avons déjà dénoncés, n’ont été signés que dans le but de renforcer la répression à l’égard des militants kurdes réfugiés en France, toujours soupçonnés d’être membres ou sympathisants d’une organisation prétendument “terroriste”. Le triple meurtre, à l’évidence, dérange les petits arrangements entre amis.
Partie de poker menteur
La Turquie aurait, d’après des sources policières françaises, fourni des informations biographiques sur Omer Guney (le suspect incarcéré). Le ministre turc de la Justice dément et précise qu’il n’a été saisi d’aucune demande de la part de la justice française. Il reproche même aux autorités françaises de ne pas répondre à ses requêtes. L’avocate kurde des familles des victimes demande également aux autorités françaises de répondre aux demandes de la Turquie. Que dire aussi du travail des enquêteurs qui, lors de la première fouille du véhicule de Guney, n’ont trouvé ni le passeport, ni les billets d’avion, ni la facture d’un nettoyage à sec, le tout caché derrière le tableau de bord ? Que dire du cambriolage chez la juge chargée de l’enquête, si ce n’est que tout cela fait désordre ?
Omer Guney était-il au service de l’Etat turc ?
En détention depuis 8 mois, l’homme aux cinq téléphones portables et aux quarante costumes de marque, issu d’une famille turque ultranationaliste, maitrisant le français et l’allemand, faisant de fréquents voyages en Turquie et en Allemagne, infiltré depuis deux ans dans les associations kurdes, n’a pas le profil “d’un électron libre agissant pour son propre compte, ni d’un dissident du PKKPartiya Karkerên Kurdistan, Parti des Travailleurs du Kurdistan, fondé en 1978. More engagé dans un règlement de comptes interne” comme le fait remarquer Kendal Nezan, président de l’Institut kurde de Paris (Le Monde 29/01/13). Il était semble-t-il connu des services français et la question centrale reste : Omer Guney était-il au service de l’Etat turc ? On peut le penser : alors que le décryptage des nombreux messages échangés est essentiel pour la poursuite de l’enquête, la justice française, qui a besoin d’une ordonnance d’un juge turc pour identifier les interlocuteurs d’Omer Guney, n’en aurait pas fait la demande. Et par ailleurs on prête l’intention à un procureur d’Ankara d’ouvrir une enquête, ce qui pourrait indiquer que la Turquie, conformément au code pénal, se réserve le droit de juger à nouveau un de ses agents, même s’il a été jugé et reconnu coupable par une juridiction étrangère. De son côté, Omer Guney crie son innocence et son avocate va demander sa mise en liberté conditionnelle pour raisons médicales.
André Métayer