Le Conservatoire à rayonnement régional de Rennes, implanté au Blosne, quartier populaire du sud de Rennes, a proposé le 7 mai une initiation sensible et musicale autour d’Édouard Glissant, poète, romancier et philosophe dont l’œuvre “décrit le monde tel qu’il est en même temps qu’elle dessine ce qu’il pourrait être“. C’est dans le cadre des “Musiques pour le Tout-Monde” qu’une petite formation musicale d’enfants kurdes a été invitée à se produire. Ces enfants, sous la houlette de leur professeur Sevda, ont commencé voilà plus d’un an à jouer du bağlama, le plus petit des luths de la famille des saz, pour faire revivre des mélodies traditionnelles kurdes, rythmées par l’erbane, tambourin à percussion agité en cadence par la dynamique Eylem.
Rencontre avec Jean-Luc Tamby, coordonnateur du département de musique ancienne du Conservatoire
Le site du Blosne du Conservatoire, flambant neuf, d’une architecture remarquable, est tout juste sorti de terre (les abords sont tout juste abordables), est-il déjà délibérément ouvert sur le quartier ?
Il l’est depuis déjà un certain temps à travers le dispositif des Classes-orchestres, qui touche un grand nombre d’enfants de trois écoles élémentaires du quartier. Il veut l’être encore davantage avec la co-construction de projets avec des musiciens hip-hop du Blosne (ex. projet de comédie musicale autour de ABD et Strof, associant des enseignants et élèves comédiens et musiciens du Conservatoire) ou encore l’envie de rencontres musicales informelles entre les élèves et des musiciens issus des différentes communautés du quartier.
Cette initiative avec ce groupe de jeunes enfants kurdes s’inscrit-il dans une politique de longue durée ?
Oui. D’une part, je suis aussi musicologue, et dans ce cadre je m’intéresse aux échanges interculturels, à la musique et aux identités. Mon instrument, le luth, est au carrefour de beaucoup de sphères culturelles. Le Conservatoire aimerait s’ouvrir sur d’autres pratiques, s’enrichir aussi d’autres musiques. En tant que coordonnateur du département de musique ancienne, j’aimerais que ce terme soit au pluriel et que d’autres musiques anciennes, issues d’autres traditions soient au moins entendues et aussi enseignées au conservatoire. Avec notre directrice Hélène Sanglier, nous sommes en train de mettre en place un groupe de travail en charge de cette évolution interculturelle de l’établissement.
Comment cette rencontre s’est-elle faite?
En 2018, j’ai fait une tournée dans le Kurdistan irakien avec la chanteuse Emmanuelle Huteau, organisée par le centre culturel français d’Erbil. A chaque concert nous partagions la scène avec des duos kurdes similaires. J’ai beaucoup admiré cette musique, cette langue et aussi la chaleur humaine que nous avons rencontrée. En rentrant à Rennes j’ai pris des contacts pour poursuivre ici cette aventure… et puis le COVID est arrivé, ce qui a tout retardé.
Bravo pour l’initiative : les résultats sont-ils prometteurs ? A la hauteur de vos espérances ? Quel regard portez-vous sur la musique kurde ? Sur le bağlama derya ?
Ce moment nous fait respirer, permet aux élèves et à leurs parents d’appréhender ce qu’Edouard Glissant, à qui cette semaine était consacrée, appelait notre “unité-diversité”. Les instruments se ressemblent et sont en même temps différents. Nous avons eu quelques problèmes de communication sur les horaires, inhérents à ce type de rencontres. Donc nous n’avons pas eu autant d’interactions et d’échanges que je l’aurais souhaité, mais il faut bien commencer. La prochaine fois nous tenterons de partager deux chansons issues de chaque répertoire. Les enfants kurdes qui ont joué sont talentueux, ils semblent assidus, cette musique était pleine d’énergie et de finesse en même temps, je remercie les jeunes musiciens, leurs enseignants et leurs parents !
Interview réalisée par André Métayer avec l’aide de Nicolas Letellier