Le 9 janvier 2013 étaient sauvagement exécutées trois militantes kurdes, Fidan Dogan (Rojbîn), Leyla Söylemez et Sakine Cansiz, au siège du Centre d’Information du Kurdistan, en plein Paris. Le tueur présumé était très rapidement identifié et écroué. Manuels Valls, ministre de l’Intérieur, promettait, sur les lieux- mêmes, que toute la lumière serait faite, promesse réitérée à Rennes le 9 janvier 2014. Aux craintes exprimées d’un étouffement de l’affaire au nom de la raison d’Etat, il réaffirmait sa confiance en la justice pour que la procédure aille jusqu’à son terme.
Le 19 mai 2015, les juges d’instruction parisiens ont annoncé la fin de leur instruction, estimant que leur travail était achevé, dans le sens où pour eux aucun nouvel élément n’a vocation à être découvert. Pour autant nous sommes en droit de nous de demander si les moyens ont été donnés à la justice pour que la procédure aille à son terme et que les commanditaires répondent de leurs actes, si tous les éléments ont été découverts, si les dessous de l’affaire et ses ramifications internationales vont être dévoilés au grand jour. A ce stade de la procédure, les avocats de la défense comme des parties civiles ainsi que le procureur de la république disposent d’un délai d’un mois pour faire part de leurs observations et le cas échéant soumettre aux magistrats instructeurs des demandes d’actes complémentaires. C’est, évidemment, notre souhait.
Procès d’Omer Güney pour solde de tout compte
Si l’instruction qui court depuis janvier 2013 est close, le risque est grand de voir l’affaire se solder par le procès d’Omer Güney devant la Cour d’Assises spéciale de Paris si la qualification terroriste de cette infraction est reconnue ou, dans le cas contraire, devant la Cour d’Assises de Paris, c’est-à-dire comme une simple affaire criminelle, horrible, certes, puisqu’il s’agit de l’assassinat de trois femmes, mais jugée comme telle. De nombreux éléments à charge – rappelés en boucle dans la presse, notamment turque – existent contre Omer Güney. Citons ses mensonges à répétition sur son emploi du temps et sa présence sur les lieux du crime, une bande audio et un document signé – un ordre de mission adressé à Güney – des services secrets turcs diffusés sur Internet et même, semble-t-il, toute une série de préparatifs en vue d’une évasion. Mais on ne sait toujours pas avec qui Omer Güney, qui est le seul suspect aux mains de la justice, a agi ou sur ordre de qui il a commis ce crime odieux. C’est l’une des lacunes de l’enquête.
Le travail de la justice entravé pour des raisons politiques
Le caractère international ou transnational du crime ne fait de doute pour personne mais il n’est pas prouvé de manière irréfutable. C’est donc à juste titre que les familles continuent de se demander comment les différents services de police et de sécurité français ont pu laisser passer ou rater ce personnage présenté comme étant téléguidé depuis un territoire étranger. Ainsi s’agissant des liens entre Omer Güney et les services secrets turcs, l’enquête n’a pas été approfondie. Voudrait-on protéger certaines relations ou certains intérêts ? Les tentatives des parties civiles pour obtenir – par exemple – des mandats d’arrêts internationaux contre les signataires de l’ordre mission publié sur internet et destiné à Omer Güney sont restées lettre morte. Sur ce point, l’enquête n’a pas progressée d’un iota depuis janvier 2013 : on sait que des liens existent entre Omer Güney et la Turquie mais toute la lumière reste à faire.
Exigeons la déclassification complète des documents secret-défense
Plus encore que les liens avec la Turquie, c’est véritablement l’incapacité de cette enquête à déterminer les ramifications d’Omer Güney en France qui pose question. Si le secret-défense a été partiellement levé sur certains documents, on est en droit de se demander si finalement les parties restées classifiées ne recèlent pas des secrets bien plus importants que les parties déclassifiées. Le choix de la déclassification qui relève du politique dépasse les pouvoirs des juges et, dans cette affaire, la raison d’Etat a pris le pas sur la justice.
Quoi qu’il en soit, nous souhaitons comprendre ce qui s’est passé ce 9 janvier 2013, qui restera un jour noir pour tous ceux qui un jour ont eu la chance de fréquenter Sakine, Leyla et Rojbin, et nous espérons que ce procès sera l’occasion pour les avocats des parties civiles de dénoncer les véritables commanditaires de ce massacre.
André Métayer