La lutte anti-terroriste, aussi légitime soit-elle, permet de cacher bien des turpitudes et autres lâchetés et rend nauséabonds les nécessaires rapports diplomatiques entre la France et la Turquie. Nous ne pouvons nous contenter d’un hochement de tête, aussi compréhensif que fataliste, accompagné d’un commentaire souvent inaudible sur la “complexité de la Realpolitik” entre les deux Etats. Nous applaudissons, certes, quand la diplomatie française s’efforce d’avoir des relations plus apaisées, plus positives avec la Turquie et se propose de lui apporter son soutien dans les négociations d’adhésion à l’Union européenne. On souhaiterait même croire le porte-parole du Quai d’Orsay, Philippe Lalliot, quand il dit que la France “attend de la Turquie qu’elle s’engage de son côté à contribuer concrètement à cette dynamique”, non seulement en assouplissant sa position intransigeante vis-à-vis de Chypre, mais aussi en reconsidérant certaines lois antiterroristes, considérées comme liberticides. On aimerait aussi croire que la Turquie s’engage dans cette voie, mais les faits sont là qui nous montrent au contraire sa volonté d’imposer sa vision sécuritaire. Avec les accords franco-turcs sur la lutte contre le terrorisme, elle a compris qu’elle peut obtenir beaucoup plus d’un pays qui n’hésite pas à sacrifier ses idéaux à des retombées économiques et stratégiques à court terme. On attendait d’un ministre français socialiste une autre vision politique à plus long terme qui aurait forcé le respect. La Commission des Affaires étrangères doit examiner le 26 février prochain à 17 heures, le texte de cet accord franco-turc avant qu’il ne soit soumis au vote du Parlement. Nous attendons un sursaut.
Sevil Sevimli est rentrée au pays après avoir payé une rançon de dix mille livres turques
Sevil, l’étudiante lyonnaise franco kurde, est rentrée en France. Nous nous réjouissons, avec sa famille, ses amis, le président de l’Université Lumière Lyon 2, le comité de soutien, de cet happy end, une demi-satisfaction pour tout ce mouvement de protestation et de solidarité mais un véritable camouflet pour la diplomatie française qui n’a pu éviter à Sevil dix mois de galère, trois mois d’incarcération suivis d’une interdiction à quitter le territoire, trois procès, et une condamnation à cinq ans et deux mois de prison ferme pour le crime de “propagande” en faveur d’un mouvement d’extrême-gauche. Le tribunal a accordé à Sevil, qui a fait appel de sa condamnation, une autorisation de sortie de territoire assortie d’une caution de 10 000 LT (4 250 euros). L’accusation, qui réclamait jusqu’à 32 ans d’emprisonnement, se fondait sur des motifs ahurissants comme une distribution de tract, une participation à un concert, ceux-là même qui valent pour des étudiants turcs des années de prison et une exclusion de l’université. Sevil n’oubliera pas ses amis – ils sont plus de 700 – incarcérés pour leur sympathie avec la cause kurde ou l’extrême-gauche. Elle leur a promis de continuer le combat, ce qui pourrait motiver une mesure de rétorsion sous forme d’une condamnation en appel. Que feront alors la justice et le gouvernement français quand la Turquie, au nom des accords sécuritaires signés par Claude Guéant 7 octobre 2011 et confirmés par Laurent Fabius le 1er août 2012, réclamera l’extradition de Sevil Sevimli ?
La Turquie va-t-elle réclamer l’extradition de Pinar Selek ?
Le cas de Pinar Selek est encore plus ahurissant. Cette sociologue contrainte de vivre en exil à Strasbourg est poursuivie par la justice turque pour un crime qu’elle n’a pas commis. Elle est accusée d’avoir participé à un attentat dont elle a été déjà acquittée à trois reprises, et – pour cause ! – il n’a jamais existé. Mais, à chaque fois, la Cour de Cassation a invalidé la décision. En fait on reproche à cette scientifique d’avoir refusé de donner à la police les noms de rebelles qu’elle avait rencontrés dans le cadre de ses recherches sur le conflit kurde. Placée en détention préventive en 1998, torturée, condamnée à la prison à vie, elle avait été libérée en 2000 après 36 mois d’emprisonnement. Le 24 janvier dernier, au cours d’une parodie de justice, la 12ème Cour pénale du Tribunal d’Istanbul l’a condamnée à la réclusion criminelle à perpétuité : “la Cour criminelle a assorti sa décision d’un mandat d’arrêt, ce qui ouvre la voie à une procédure d’extradition vers la Turquie” a précisé Me Martin Pradel, avocat et chargé de mission pour la Fédération internationale des Droits de l’Homme, et d’ajouter : “les juges ont condamné Pinar parce qu’on leur a dit de le faire, et non parce qu’ils pensent qu’elle est coupable”. Une demande d’asile politique est en cours mais, à la suite des accords sécuritaires Guéant/Fabius, le statut de réfugié politique sera-t-il suffisant pour faire échec à la procédure d’extradition ? Rien n’est moins sûr.
Après l’incarcération à Paris de militants kurdes, Ankara demande l’application des accords d’extradition
Le 12 février, à Paris, le chef de la diplomatie française, Laurent Fabius, rencontrait son homologue turc, Ahmet Davutoglu, ministre des Affaires étrangères du gouvernement islamo-conservateur de Recep Tayyip Erdogan.
Le 12 février, à Bordeaux et à Toulouse, dix sept militants kurdes étaient interpellés dans le cadre d’une enquête confiée à la sous-direction antiterroriste (SDAT), onze étaient mis en examen, pour “association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste”, “financement du terrorisme” ou encore tentatives d’extorsion. Sept d’entre eux sont incarcérés et quatre placés sous contrôle judiciaire. Il n’est pas question pour nous de justifier quelques pratiques mafieuses ou quelques zèles intempestifs, si les faits sont avérés, mais cette concomitance devenue une insupportable habitude ponctuant les relations commerciales et diplomatiques entre les deux pays nous interpelle et nous fait craindre le pire.
Le Premier ministre turc n’a pas manqué de réclamer, dès jeudi, l’extradition vers la Turquie de ces “très dangereux terroristes” :
tant que ces terroristes ne (nous) seront pas remis, les pas effectués en ce moment n’ont aucun sens pour nous. Il y a entre nous des accords d’extradition, des accords de lutte en commun contre l’organisation terroriste [PKK]. Celle-ci a été officiellement admise comme une organisation terroriste, ce qui a conduit à l’ouverture de milliers de procès dans ces pays, mais il n’y a pas de résultats. Ce que nous voulons, ce sont des résultats.
Quels sont ces” très dangereux terroristes” ?
Les arrestations survenant opportunément au moment de rencontres diplomatiques, à Paris ou à Ankara, sont trop fréquentes pour ne pas être suspectes. Elles reposent, de plus, sur des faits de pratiques courantes et licites auxquelles on ne prête pas habituellement attention : quelle association, quel parti politique, quel syndicat, quelle fondation, quelle église, mosquée ou synagogue ne sollicite ses adhérents, ses sympathisants, mais aussi les entreprises, les commerçants, pour le financement de ses activités, sans pour autant de parler de collectes faites par la force ou l’intimidation, ou plus subtilement par une emprise psychologique ? Mais, précise-t-on, l’enquête préliminaire serait partie de deux plaintes qui ont été regroupées : il s’agirait de tentatives d’extorsion de fonds aux dépens d’artisans d’origine kurde. A ce sujet on peut observer qu’au cours d’affaires passées, ces plaintes n’ont été que prétextes pour ouvrir une instruction concernant l’emploi de fonds récoltés, et pour cause : les motifs sont souvent obscurs et peuvent recouvrir des différents familiaux (mariages ” arrangés”, divorces mal vécus) ou des difficultés économiques. Nous savons que des commerçants et des artisans, en délicatesse avec l’URSSAF ou le fisc, se sont vus proposer des “arrangements” en échange de “renseignements” assortis de “protections”. Mais l’essentiel n’est pas là : les enquêtes, menées exclusivement à charge, tentent à démontrer que les collectes servent à “financer le terrorisme” d’où l’accusation “association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste” ainsi dénommé le PKKPartiya Karkerên Kurdistan, Parti des Travailleurs du Kurdistan, fondé en 1978. More, le Parti des Travailleurs du Kurdistan, une organisation politique dotée d’une branche armée (HPGForce de défense du peuple (Hêzên Parastina Gel), branche armée du PKK. More), qui s’oppose les armes à la main, à l’armée turque. Les tribunaux s’efforcent à prouver que les sommes récoltées servent à financer la guérilla, ce qui est loin d’être démontré.
La France ne doit pas être complice
Dire que le PKKPartiya Karkerên Kurdistan, Parti des Travailleurs du Kurdistan, fondé en 1978. More n’est pas une organisation terroriste n’est pas perçu comme une contribution au débat mais une déclaration militante donc forcément partisane, irréfléchie et un tantinet simpliste. Mais répéter mille et une fois par jour, comme le fait chaque dépêche de l’APF, que le PKKPartiya Karkerên Kurdistan, Parti des Travailleurs du Kurdistan, fondé en 1978. More est une organisation terroriste devient une évidence et une évidence, chacun le sait, n’a pas besoin d’être démontrée. De même il est rappelé à chaque occasion que les Etats–Unis et l’Union européenne ont inscrit le PKKPartiya Karkerên Kurdistan, Parti des Travailleurs du Kurdistan, fondé en 1978. More sur leur liste des organisations terroristes mais on oublie de dire que ces listes n’ont aucun fondement juridique. Le projet de loi qui sera soumis au vote du Parlement vise à approuver un accord de coopération avec la Turquie dans le domaine de la sécurité intérieure censé lutter contre le terrorisme sans pour autant donner une quelconque définition du terrorisme. Or, la Turquie a une conception extrêmement extensive du terrorisme et de la sécurité de l’Etat, qui entre en conflit avec les standards internationaux en matière de protection des droits fondamentaux. Les tribunaux appliquent de manière très large la loi anti-terroriste turque de 1991 qui punit les crimes contre la sécurité de l’Etat. La vague définition du terrorisme et sa large interprétation par les juges turcs ont ainsi permis de criminaliser les activités pacifiques et légitimes de défenseurs des droits humains, membres des ONG, mais également des personnes agissant dans le cadre de leurs activités professionnelles ou de leurs mandats électifs pour la défense des droits humains : 10 000 députés, présidents de région, maires, élus locaux, journalistes, syndicalistes, avocats, universitaires, écrivains, éditeurs croupissent en prison, certains depuis près de 4 ans. Et la Turquie voudrait aussi faire taire ceux et celles qui s’expriment à partir des pays où la liberté d’expression, d’information et d’opinion existent encore. Certains ont payé de leur vie, comme notre amie Rojbin, abattue en plein Paris, tandis que d’autres sont incarcérés dans les prisons de la Santé, de Fresnes ou à Fleury-Mérogis et menacés d’extradition. La France ne doit pas s’engager dans cette voie.
André Métayer